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Blog «Coulisses de Bruxelles»

Le socialisme ibérique soluble dans le nationalisme

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Si les socialistes européens portent, par leurs divisions, une responsabilité indéniable dans la réélection du conservateur José Manuel Durao Barroso à la tête de la Commission, certains sont plus coupables que d’autres dans ce fiasco historique. En l’occurrence, Barroso peut remercier les 21 députés espagnols (PSOE) et les 7 portugais. Il l’a d’ailleurs fait en rendant hommage, après son investiture, à José Socrates, le premier ministre socialiste portugais. De fait, si Lisbonne n’avait
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publié le 17 septembre 2009 à 11h53
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h12)
Si les socialistes européens portent, par leurs divisions, une responsabilité indéniable dans la Psoe2 réélection du conservateur José Manuel Durao Barroso à la tête de la Commission, certains sont plus coupables que d’autres dans ce fiasco historique. En l’occurrence, Barroso peut remercier les 21 députés espagnols (PSOE) et les 7 portugais. Il l’a d’ailleurs fait en rendant hommage, après son investiture, à José Socrates, le premier ministre socialiste portugais. De fait, si Lisbonne n’avait pas présenté sa candidature, l’ancien premier ministre conservateur portugais serait désormais à la retraite.
Pourquoi Socrates a-t-il soutenu un homme qu’il n’a cessé de combattre dans son pays et qui est à l’exact opposé de ce qu’il défend ? Non pas, comme je l’ai longtemps entendu dire, pour l’empêcher de revenir sur la scène politique nationale, Barroso n’étant plus rien au Portugal, mais par nationalisme : un Portugais soutient un Portugais, point. « Il est tellement pratique pour Socrates d’avoir un accès direct et en portugais au président de la Commission », explique ainsi l’une de mes consœurs lusitanienne.
Côté espagnol, les raisons de ce soutien contre nature sont tout aussi pathétiques : José Luis Zapatero, le premier ministre socialiste, a avancé une soi-disant « solidarité ibérique » dont on pourra rechercher vainement une quelconque trace historique, l’affrontement ou l’indifférence étant plutôt la marque des relations entre l’Espagne et le Portugal. Hier, il fallait entendre l’eurodéputé PSOE Juan Fernando Lopez Aguillar essayait de justifier l’injustifiable devant la presse : outre la « solidarité ibérique », il a utilisé un second argument. « Vous comprenez », a-t-il dit en substance, « le 1er janvier prochain, l’Espagne exercera la présidence de l’Union européenne et il est de son intérêt d’avoir une Commission en ordre de marche à ce moment. Il n’était pas dans l’intérêt de l’Espagne de maintenir l’incertitude ».
Pict_20070712PHT09161 Les socialistes espagnols et portugais (photo: José Socrates) ont donc fait primer l’intérêt national le plus basique sur les considérations idéologiques en votant pour un conservateur dont le bilan nettement marqué au coin de « l’ultra libéralisme » ne laisse place à aucun doute quant à ses convictions. Les deux partis socialistes ibériques ont donc nié l’idée même qui sous-tend la construction communautaire, à savoir le dépassement du fait national dans l’intérêt commun. Le fait que cette affirmation du national vienne de la gauche est pour le moins inquiétant : « les socialistes en 1914 croyaient naïvement que les travailleurs des deux camps refuseraient de se tirer dessus », rappelle le député français Henri Weber, « on a vu le résultat ». En clair, la gauche après avoir longtemps cru à l’internationalisme sait maintenant que le fait national est premier. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille s’en accommoder : « le repli national aujourd’hui à l’œuvre est une menace pour la construction communautaire », reconnaît celui qui a pourtant suivi Laurent Fabius dans son refus de la constitution européenne.
Ce retour du national, néanmoins, est variable selon les pays. Ainsi, les travaillistes britanniques ont refusé de voter pour Barroso, comme l’exigeait le gouvernement de Gordon Brown : pour eux, les convictions idéologiques passent avant l’intérêt national, contrairement à ce que l’on a tendance à croire en France. « On a été très surpris de leur résistance », reconnaît un diplomate britannique. De même, jamais les socialistes français n’auraient voté pour un candidat français de droite : « voter pour François Fillon s’il avait été candidat ? Jamais ! », s’écrient ainsi en cœur Catherine Trautman et Henri Weber. Néanmoins, même au sein du PSOE et du PSP, il existe encore des hommes et des femmes de conviction : en dépit des risques de rétorsions, selon mes informations, 5 Espagnols et au moins 2 Portugais ont osé s’abstenir…
Cet épisode montre, en tout cas, que la « famille » socialiste européenne n’existe plus : un minimum de clarification s’impose, la rupture étant intervenue sur un point majeur, celui de l’élection de l’exécutif.