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Blog «Les 400 culs»

Visite guidée de mon corps

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Pascal Tourain est un «bleu», c’est-à-dire quelqu’un dont le corps est entièrement tatoué, à l’exception des mains et du visage. Le verbe haut, l’humour détonnant, il met en scène son corps lors de shows-strip hilarants où il se fait décrypter même les fesses dans son string léopard. Le Salon International du Tatouage Artistique -Tattoo Art Fest- se déroule les 18, 19 et 20 septembre au Parc Floral, à Paris, avec la présence de 150 tatoueurs du monde entier et surtout celle de Pascal Tourain, bo
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publié le 18 septembre 2009 à 15h17
(mis à jour le 21 janvier 2015 à 16h14)

Pascal Tourain est un «bleu», c’est-à-dire quelqu’un dont le corps est entièrement tatoué, à l’exception des mains et du visage. Le verbe haut, l’humour détonnant, il met en scène son corps lors de shows-strip hilarants où il se fait décrypter même les fesses dans son string léopard.

Le Salon International du Tatouage Artistique -Tattoo Art Fest- se déroule les 18, 19 et 20 septembre au Parc Floral, à Paris, avec la présence de 150 tatoueurs du monde entier et surtout celle de Pascal Tourain, bonimenteur de génie, Maître de cérémonie, transformé pour l'occasion en animateur-performer impossible à rater: on le voit de loin. Peut-être par allusion au Dictionnaire des idées reçues (dans lequel on peut lire à la définition du mot "érection": "ne se dit que des monuments", Pascal Tourain s'est auto-baptisé "monument". Et pour cause: il fait un mètre quatre-vingt, il pèse 120 kilos et il promène généralement en string son corps de baraque foraine...

C'est une armoire, "picarde pas normande" précise-t-il, entièrement recouverte d'un patchwork d'images qui transforment sa peau en une toile vivante, fascinante et sublime. Des affiches de cirque peuplées de freaks ornent ses cuisses, jouxtant une Tentation de Saint Antoine du XVe siècle qui côtoie un Baphomet et une gravure érotique du XVIIIe siècle. Sur son abdomen, du côté du foie, Pascal Tourain s'amuse parfois à faire bouger –en bougeant ses muscles- une file de femmes encastrées les unes dans les autres qui se gamahuchent joyeusement. C'est une image extraite d'un roman de Marquis de Sade et dont Pascal met les gens au défi de connaître le titre. Il faut de l'érudition pour décoder ses tatouages. Il faut surtout du temps, des heures d'examen attentif, pour faire le tour de ce corps-fresque, résultat de plusieurs années d'un lent et long travail d'aiguilles.

Pascal Tourain a fait de son corps une oeuvre d'art et, chaque semaine à La Cantada (bar à vin d'Oberkampf à Paris), il organise la visite guidée de ce corps au cours d'un show à mourir de rire qui parle d'amour, de sexe et de l'histoire du tatouage. Au sous-sol de La Cantada, dans une cave de vieille pierre voutée, "l'homme-tatoué", recouvert d'un long peignoir rouge-sang, coiffé d'un chapeau haut de forme et d'un faux nez à moustache à la Groucho Marx entame le début d'une visite guidée de son anatomie devant un public de jeunes filles frissonnantes et de garçons hilares qui attendent avec impatience le moment du déshabillage. Pascal Tourain ménage le suspens. Il évoque d'abord sa jeunesse, son attirance pour le tatouage, puis raconte la premières séances, et s'adresse au public, improvisant avec bonheur sur le thème de l'addiction. Quand on découvre quelque chose qui vous apporte un bonheur immense, à quel moment faut-il s'arrêter? Faut-il même s'arrêter?

"Le tatouage c'est ça, raconte Pascal Tourain: soit tu fais une pièce unique et tu baisses le rideau, soit tu poses le petit orteil sur une pente où il y a un engrenage savonneux qui fait boule de neige. Et oui, je trouvais débile esthétiquement parlant de ne pas équilibrer les deux épaules, ce qui fut fait. Le temps de cicatriser, de laisser s'écouler quelques semaines de réflexion, et j'entreprenais mon dos pour ensuite ne plus m'arrêter. Comme Obélix, j'étais tombé dedans. Ainsi va la vie: ça fait mal, ça coûte cher, c'est irréversible et pourtant on remet le couvert avec un plaisir immense. Autant dire qu'un tatoué intégral interpelle aussi bien le psychiatre que le criminologue. J'en ai lu de ces trucs… Que je relèverais de la pathologie (la pathologie, c'est des nouilles que tu manges à la maison?). Pour les uns, je serais un retardé mental, un taré psychologique facilement influençable cultivant son narcissisme tout en s'auto-détruisant. Pour les autres, un dangereux sociopathe (un sociopathe, c'est quelqu'un qui mange des spaghettis en public?), de la graine de serial killer (t'as vu la gueule de la graine, y'a longtemps que j'ai germé), qui plus est masochiste et agressif. A-GRES-SIF, n'importe quoi, on croit rêver. Un moustique, il se pose sur moi, je le laisse me sucer."

Lorsque Pascal Tourain finit par enlever son peignoir, un silence religieux s'installe dans la salle. Les yeux convergent vers le string, cherchant à deviner si là-dessous aussi il y a du tatouage. Une question à laquelle Pascal ne répondra jamais. "Allez-y voir, mesdames." En attendant de recevoir (dans sa loge privée, c'est-à-dire au bar) les groupies excitées, il se contente de proposer une petite visite guidée. Alors que la lumière s'éteint dans la salle, éclairant chaque organe (ou presque) à l'aide d'une lampe de poche, Pascal explique l'origine et le sens des images qui s'y déploient. Il prend le ton d'un conférencier de Musée et joue les strip-teaseuses. Puis à la fin, remettant son peignoir, Pascal Tourain réclame le droit à un peu d'intimité. Et achève son spectacle avec la liste des réponses que tous les tatoué(e)s donnent lorsqu'on leur pose la question : "Mais pourquoi avez-vous fait ça?"

"Je me suis tatoué parce que j'aime ça. Je me suis tatoué parce que ça fascine, ça révulse ou ça choque, et que ça reste toujours sulfureux. Je me suis tatoué aussi parce que ça déplaît aux moralisateurs de tous bords et aux détenteurs du bon goût. Je me suis tatoué pour quitter le courant dominant et emprunter les chemins de traverse. Je me suis tatoué pour me battre contre le temps qui passe, défier la mort et me sentir encore plus vivant. Je me suis tatoué pour mettre à jour mon âme et dire qui je suis vraiment. Je me suis tatoué pour me réapproprier mon enveloppe charnelle et en faire une œuvre d'art. Je me suis tatoué parce que le corps est le dernier espace de liberté qui nous reste. Je me suis tatoué parce que je n'ai qu'une vie et que c'est une expérience inégalable et irremplaçable."

Le spectacle L'homme Tatoué se donne une fois par semaine, tous les mercredi soir, à 20h30 à la Cantada: 13 rue Moret, 75011 Paris. Métro: Ménilmontant.

Pascal Tourain a publié un livre intitulé L'Homme tatoué, concentré jubilatoire de ses meilleures saillies, ode au tatouage composé à partir du texte de son spectacle: édition du Yunnan, 5 euros.
Il vient également de publier Nul n'est sensé ignorer l'oie (éd. du Yunnan), tome II de ses aphorismes animaliers, qui mélange humour à la Vuillemin et à la Marx Brothers (sacré mélange). Ces deux livres se trouvent à la Cantada (lors des shows), soit à Hors-Circuits: 4 rue de Nemours Paris 11ème. En vente également sur le site en ligne d'Hors Circuit.

Tattoo Art Fest, le Salon International du Tatouage Artistique: 18-19 et 20 sept. Parc Floral de Paris Vincennes : espace événements, route du champ de maoeuvre, 75012 Paris. Métro: château de Vincennes.

UN EXTRAIT DU LIVRE L’HOMME TATOUE

Ton tatoueur, c’est un passeur. Il a les clefs pour te faire accéder à un autre univers. Au fil du temps, si tu entreprends de longs travaux, il va devenir ton confident. Forcément, quand tu montres tes fesses, tu as plus de facilités à dévoiler ton âme. C’est pour ça qu’il ne faut pas se tromper. Chaque tatoué pense que son tatoueur est le meilleur. Moi, c’est vrai. Au fait, je vous ai pas dit son nom? On l’appelle TIN-TIN, parce qu’il ressemble à Bruce Willis! Oui, je sais, ça n’a aucun rapport, je n’ai pas compris non plus au début, mais c’est comme ça. TIN-TIN, en deux syllabes, avec un tiret au milieu (et question de tiret… enfin bon!). Il aurait pu s’appeler MI-LOU mais il ne fait pas tatoueur pour chien; HAD-DOCK, ça l’obligeait à parler latin, porter la barbe et la casquette; DU-PONT(D) à engager un sosie officiel et la CASTA-FIORE à chanter pendant le boulot. Finalement, avec TIN-TIN, il s’en sort pas si mal. La première chose qu’il m’a dite quant il m’a vu, c’est: “Toi, tu ressembles à Oscar Wilde sous cortisone.” Un petit voyant s’est allumé dans ma tête… Tiens, on va bien s’entendre tous les deux, on a un parcours commun: un vernis de culture, un brin d’humour et une bonne dose de connerie, parce que je ne ressemble vraiment pas à Oscar Wilde sous cortisone et encore moins sous courtisane… Franchement, regardez moi de profil: j’ai même pas le début d’un double menton… c’est tout droit !