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Blog «Les 400 culs»

Bidoche, clonage et organes marchands

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Le peintre Hervé André représente des êtres humains réduits à l’état de sextoys vivants : ce sont des blocs de viande troués d’orifices suintants qu’il sera bientôt possible de produire en masse et de commercialiser… dans un avenir effrayant.Du 13 au 29 octobre, à la Urban Gallery de Marseille, l’exposition «Hybridations. Métamorphoses” met en scène les ultimes produits de consommation. Des organes sexuels – hrm - issus de l’industrie biotechnologique. Créateur (virtuel) des hrm, l’artiste Hervé
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publié le 14 octobre 2009 à 10h27
(mis à jour le 21 janvier 2015 à 16h14)

Le peintre Hervé André représente des êtres humains réduits à l’état de sextoys vivants : ce sont des blocs de viande troués d’orifices suintants qu’il sera bientôt possible de produire en masse et de commercialiser… dans un avenir effrayant.

Du 13 au 29 octobre, à la Urban Gallery de Marseille, l'exposition «Hybridations. Métamorphoses" met en scène les ultimes produits de consommation. Des organes sexuels – hrm - issus de l'industrie biotechnologique. Créateur (virtuel) des hrm, l'artiste Hervé André explique : «les hrm sont obtenus par hybridation de cellules animales et humaines. Ce sont des clones d'un genre particulier, ils conservent de leurs souches essentiellement des caractères sexuels amalgamés. Orifices, appendices divers, clitoris, membres turgescents, appendices palpeurs suceurs, sortes de langues, trompes massantes etc. Les modèles les plus évolués ont une fonction qui leur permet d'entrer en relation avec la psyché de leur partenaire. Les hrm se conforment  et adaptent leurs caractéristiques au désir, mais aussi plus profondément et d'une manière plus inquiétante (parce que cela  révèle des zones enfouies et des désirs inassumables)  aux structures refoulées de leurs partenaires. On peut les pénétrer et être pénétré par eux grâce à leurs membres appendices et autres protubérances, ils lèchent sucent branlent palpent. Ils sont vivants, auto lubrifiés, leur texture est de chair, entre muqueuses et peau, leur forme est en constante recréation, mouvante, jamais complètement fixée, suivant un processus de génération spontanée… A  l'état de repos les hrm se rétractent et occupent peu de place, on peut les transporter facilement

Construite comme un scénario de politique-fiction, l'exposition raconte l'histoire de la première rencontre sexuelle entre un humain et un de ces blocs protéiforme hybride… Le consortium qui réalise les prototypes de hrm - nommé A-firme - décide en effet de trouver un cobaye pour le premier essai. «On oublie volontairement un hrm prés d'un wagon abandonné sur une voie ferrée désaffectée, explique Hervé André. L'homme qui s'en empare est appelé testeur. On voit le testeur aux prises avec l'hrm. Son angoisse tout d'abord. Puis, son approche progressive… Posé sur une table l'hrm génère ses caractéristiques. Des orifices s'ouvrent, des membres turgescents apparaissent, toute une activité grouillante et humorale se met en place. Le testeur pénètre l'hrm, il plonge dans divers orifices, sexe main langue en activité, l'hrm par ses membres palpeurs suceurs turgescents excitent tous les points érogènes de son partenaire, il le pénètre à son tour, les orifices du testeur sont sollicités de toutes parts… Des sortes de tentacules entrent dans sa bouche frôlent ses paupières, ses lèvres, un autre le sodomise, un appendice palpeur lui masse les couilles, des langues s'activent sur tout son corps… Cela se passe dans une pièce unique, de jour et de nuit. Le scénario est entrecoupé de panoramiques sur la ville, des paysages comme des états d'âmes, entrecoupant le fil chronologique de ce parcours rêveur.»

«Peu à peu le testeur glisse vers une sorte d'addiction démence, de plus en plus la proie de ses fantasmes, de ses désirs enfouis.  L'acte sexuel avec l'hrm devient de  plus en plus violent. L'hrm révéle au testeur les pulsions sadiques et dominatrices de sa sexualité. Les pénétrations sont de plus en plus violentes accompagnées de coups et de fureur dévastatrice. L'hrm se recompose ensuite chaque fois, indemne, étranger et sans mémoire. Un jour le consortium estimant qu'il en a appris assez élimine le testeur. Des années plus tard, les hrm sont commercialisés. Les masses travaillent, subissent sans révolte les dominations de toutes sortes dans l'espoir de pouvoir bénéficier à leur tour d'un hrm. L'usage des hrm se répand. Des cas de décompensation massive apparaissent chez certains des utilisateurs incapables de gérer les conséquences secondaires liées à usage des hrm. L'a-firme produit hrmil, une molécule chimique qui a pour but de contrôler ces effets secondaires. La drogue est légalisée.
» Il y a du Yapou, bétail humain dans cette description de l'enfer sexuel sur terre. Lorsqu'il imagine ce scénario-catastrophe, Hervé André affirme plutôt qu'il se sent inspiré par la beauté des muqueuses. A 50 ans, ce fils d'ouvriers de Lorraine (installés dans le sud en 1971), se définit comme un auto-didacte solitaire. Il peint constamment d'après nature. Et la nature ne lui répugne pas, même vue de très près.

Il se régale de la décrire : «La peau sur la face interne des lèvres à l'intérieur de la bouche, les luisances roses, la finesse de la peau, la transparence qui laisse apercevoir le rose rouge de la chair, le bleu des veines, le battement du sang dans les veines… La texture de la langue, les petites protubérances à la surface de la langue. Le bord des paupières, les larmes, la rougeur du bord des paupières, les petits plis, la peau qui se ride à la pression des paupières, la substance lubrificatrice de l'oeil, les mucosités de l'oeil…» Tout l'attire. Tout lui parait digne d'être aimé. Même l'anus, «les plis de l'anus, la délicatesse de ces lignes qui convergent vers un centre, la texture élastique de cet anneau, la palpitation de l'ouverture fermeture... le rose brun autour de l'anus, comme un souvenir des excréments qui passent là.» L'aréole brun rose de l'anus, la complexe jointure des grandes lèves et des nymphes «et aussi la texture étrange du sac des testicules, ce côté papier froissé ou peau texturée un peu épaisse ou fibreuse», tout lui inspire des dessins de blocs sexuels, qui palpitent en exsudant leurs fluides…

Bien qu'il exalte la beauté de la chair, Hervé André la montre pourtant sous son aspect le plus effrayant. «Peut-être que j'ai peur du corps comme tout le monde», dit-il, «notre corps ne nous appartient pas tant que ça, au fond.» Poussant plus loin sa réflexion, il souligne également l'ambiguïté de ces dessins qui étalent une viande dénuée de conscience, objet dépossédé de lui-même… Métaphore de ce que deviennent les individus dans un système marchand ou totalitaire. Les idéologies qui exaltent le corps parfait, épanoui, sain et musclé, ne se servent parfois de cet idéal physique que pour lobotomiser les masses. «Les pouvoirs qui s'en prennent à la vie de l'esprit en viennent toujours inéluctablement à s'en prendre aux corps» résume Hervé André. Bien qu'il trouve à ses hrm un charme indéniable (ces hybrides au moins ont vraiment l'air de s'amuser), il les représente comme de monstrueux repoussoirs de ce que nous pourrions devenir un jour. De la viande décérébrée. Pré-découpée. Sous emballage. «J'ai représenté une société arrivée à son dernier stade de coercition, explique Hervé André. La production d'hybrides sexuels pour contenir les masses» est un peu comparable aux jeux du cirque offerts par les empereurs romains pour désamorcer les révoltes urbaines.

Hybridations. Métamorphoses : du 13 au 29 octobre.

Urban Gallery : 3 rue Mazenod, 13002 Marseille. Tél. : 04 91 37 52 93.

Avec 4 artistes : Hervé André, Véronique Verdier, Carole Engelbreit, Nathalie Noe-Adam.

En ce qui concerne Hervé André, l'exposition comprend peintures sur plexiglas, projections d'images, bande son et un dispositif fictionnel autour de L'a-firme (texte comprenant fragments de scénarios, notes de travail sur la peinture et prospective sociale autour de la question de l'aliénation sexuelle). »Voyant venir la fin des dispositifs de sujétion, le consortium décida la création de nouveaux organes sexuels

CINQ QUESTIONS A HERVE ANDRE

1/ Utilisez-vous des fluides corporels pour dessiner ?

Non. Mais j'établis une correspondance entre la peinture et ce qui sort du corps. Pour me comprendre il faut penser un peu la technique de la peinture. La peinture à l'huile procède par couches. Ces couches sont plus ou moins épaisses ou transparentes.
On utilise des couleurs trés diluées pour commencer l'oeuvre. On appelle ça des jus. Je mets ces jus en correspondance avec les matières les plus fluides qui sortent du corps, l'urine, la sueur, la salive… Au cours de l'élaboration de l'oeuvre on peut charger davantage en matière. Des matières plus épaisses. On appelle ça des empâtements.
Tout ce qui sort du corps est plus ou moins frappé d'une valeur négative. Qu'en est-il de la peinture aujourd'hui ? Pourquoi les institutions l'ont-elle plus ou moins bannie ? Est-ce qu'elle est de l'ordre du déchet elle aussi ?
La matière en elle même est une source inépuisable de réflexion. Je travaille la matière comme socle fondamental, ça me permet d'enraciner ma pensée quelque part dans une réalité. Les petits tas de boue des couleurs sont une métaphore aussi du bourbier humain.

2/ Dans vos tableaux, l’humain est remplacé par ses fonctions physiologiques ? Quelles fonctions vous intéressent le plus ? 

humain humide humus humeurs humour… hum hum hum, humer…
Je signe par un h

3/ Vous trouvez qu’un orifice, c’est beau ?

Je trouve leurs formes à la fois attirantes et repoussantes comme tout le monde, je pense. En fait les orifices du corps angoissent la plupart des gens. Ce sont des parties surinvesties autant mentalement que sensuellement, ou sensiblement.
Les orifices sont les lieux de l'échange intérieur extérieur. Lieux de plaisir. Lieux hautement chargés de vie et de mort.
Moi, ce sont leurs bords qui m'intéressent. Morbides, ils évoquent à la fois  la maladie et la tendresse, étymologiquement.

4/ La plupart des gens ont horreur de la viande, je veux dire du corps réduit à l’état de viande. Et vous ?

L’organique nous ramène à des aspects trés élémentaires de la vie. Nous sommes cela aussi. Ce doux remugle de la matière.

5/ Pourquoi priver le corps de visage, d’autonomie, d’identité, de conscience ?

C'est politique. Ca désigne l'obscénité de tout pouvoir.
Comme je le disais plus haut, les pouvoirs qui s'en prennent à la vie de l'esprit, s'en prennent inéluctablement aux corps.
Une représentation d'un corps sans membres sans tête est une métaphore d'un pouvoir qui s'exerce sans limite.
Mes représentations du corps font suite à une réflexion sur les enjeux culturels, la propagande, et la violence destructrice de certains pouvoirs.
Je crois que je révèle quelque chose d'enfoui, qui concerne une sorte de folie de domination. Si je l'ai extirpé de moi, c'est qu'elle est en moi, comme elle est en d'autres.
Je m'aventure loin en moi pour mettre à jour quelque chose de commun, mes propres résistances ou défenses sont aussi celles du groupe. et particulièrement des groupes de pouvoir qui ont intérêt à ce que les représentations qui les installent dans leur place ne soient pas questionnées.
Je pense qu'il faudrait réfléchir maintenant à la dimension aliénante de la sexualité et comment la sexualité est utilisée pour maintenir des dominances.

Un livre à lire pour compléter cette réflexion : Bidoche (L’Industrie de la viande menace le monde) Comment est-on passé d’un petit élevage local à l’élevage industriel massif d’aujourd’hui ? Comment les animaux sont-ils devenus de simples marchandises ? Quelles conséquences pour notre santé ? Pour l’équilibre des écosystèmes ? Pour la démocratie ? Le livre-enquête de Fabrice Nicolino, pas seulement par les végétariens. Editions LLL, 21 euros.