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Blog «Les 400 culs»

La domination masculine

Empruntant à Pierre Bourdieu le titre d’un livre -La Domination masculine–, le cinéaste belge Patric Jean vient de réaliser un documentaire qui fait l’effet d’une bombe. Pourquoi les hommes dominent-ils les femmes dans la quasi-totalité des sociétés actuelles? Cette domination mène-t-elle forcément à la violence? La majorité des sociétés existantes sont patriarcales. Et dans ces sociétés, on enseigne aux enfants, dès leur plus jeune âge à se conduire d’une certaine manière lorsqu’ils sont de sex
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publié le 7 décembre 2009 à 10h54
(mis à jour le 21 janvier 2015 à 16h14)

Empruntant à Pierre Bourdieu le titre d'un livre -La Domination masculine–, le cinéaste belge Patric Jean vient de réaliser un documentaire qui fait l'effet d'une bombe. Pourquoi les hommes dominent-ils les femmes dans la quasi-totalité des sociétés actuelles? Cette domination mène-t-elle forcément à la violence?

La majorité des sociétés existantes sont patriarcales. Et dans ces sociétés, on enseigne aux enfants, dès leur plus jeune âge à se conduire d'une certaine manière lorsqu'ils sont de sexe masculin… Le film-documentaire très controversé de Patric Jean démonte les mécanismes qui conduisent les petits garçons à devenir des mâles "dominants". La démonstration est progressive. Elle commence avec Serge Hefez, psychiatre: "Vous prenez un groupe d'adultes et vous leur montrez une vidéo d'un bébé de 9 mois en train de pleurer. Vous leur demandez: "Cette petite fille pleure. Pourquoi ?". Les adultes répondent: "Elle a du chagrin, elle est triste. Elle souffre. Elle a besoin d'être consolée". Ensuite, vous montrez la même vidéo à d'autres adultes, en leur demandant : "Ce petit garçon pleure. Pourquoi?". Les gens répondent: "Il est contrarié. Il veut quelque chose. Il est en colère." Sur le même visage, sur les mêmes expressions émotionnelles, on projette tout un univers qui est celui de la victimisation pour les filles et de l'action pour les garçons: "Les petites filles doivent être plutôt douces, conclut Serge Hefez. Elles peuvent avoir du chagrin, elles doivent se soumettre d'une certaine façon. Les petits garçons eux, sont coléreux et affirment leur personnalité".

Séquence suivante: dans un magasin de jouet, le responsable explique, en manipulant des imitations de robot-mixeurs, des balais et de machines à laver en plastique: "Jamais on n'a vendu ça pour un petit garçon. Ces produits s'adressent clairement à des petites filles. Là, comme à la maison, il faut imiter maman…" Au rayon fille, les jouets sont roses et sentent tous des odeurs sucrées de fruits… "J'aime mon nouveau rouge à lèvres" chantonne une poupée qui fait des bisous sur commande. Les gadgets pour fille jouent soit sur l'idée de la pin-up style Barbie, soit sur celle de la ménagère, qui fait les pâtisseries et le repassage. "Les filles vont se créer un imaginaire à partir du monde existant, celui de la femme au foyer." Les garçons eux, ont des jouets qui les projettent dans des jungles, dans le Moyen-Age, dans le laboratoire d'un savant fou, dans la voiture de Batman… Même chose au rayon déguisements. Ceux pour les petites filles sont presque uniquement des robes de princesse, pour être la plus belle au bal. "Les princesses n'ont pas de pouvoirs spéciaux, elles se contentent d'être la plus belle… Chez les garçons, au contraire, il y a les super-héros, l'espace, la police, les cow-boys…".

Troisième séquence: des images de livres pour enfants se succèdent, autour de l'image récurrente d'une petite fille à sa fenêtre qui regarde le monde derrière la vitre… L'image, à priori, a l'air innocente. Evelyne Léonard, enseignante, explique: "La fenêtre est le symbole de la culture du rêve. Les filles sont censées rêver. Elles n'ont pas d'ambition, elles ont des rêves. Elles sont les spectatrices, les princesses qui attendent le prince charmant, mélancoliques…". En d'autres termes: papa est dehors. Maman est dedans. L'homme change le monde. La femme l'imagine. Et voilà comment on encourage les enfants à choisir plutôt telle orientation professionnelle que telle autre… Politique et science pour les garçons. Communication et psychologie pour les filles. Marie Schots, sociologue, critique particulièrement les livres consacrés aux métiers: "Le choix d'un métier conditionne l'existence et il se fait très tôt", explique-t-elle. Or que voit-on dans les livres pour enfants? Des hommes businessmen et des femmes caissières de supermarché.

Quatrième séquence: l'artiste Miller Levy montre une de ses oeuvres d'art, intitulée ironiquement Haute Fidélité. Il s'agit de deux modules de contrôle en acier, superposées (dans la position du missionnaire?), qui ressemblent à s'y méprendre à des amplis… "Il y a un élément appelé "Homme" posé sur l'élément "Femme", explique Miller d'un air goguenard. L'élément "Homme" est plus petit mais il représente les taches de puissance. L'élément "Femme", plus gros, représente la modulation." L'élément "Femme" est couvert de boutons. Il est très compliqué. On ne comprend pas très bien son fonctionnement. Sur l'élément "Homme", en revanche, il n'y a qu'un gros bouton: On-Off. "C'est l'homme qui allume la femme, résume l'artiste. Mon oeuvre parle de la sexualité. Mais ça parle de tout le reste aussi."

La démonstration de Patric Jean aurait pu s’arrêter là, sur ce simple constat: on formate les enfants, dès le plus jeune âge, à affirmer ou à développer plus (garçon) ou moins (fille) leur personnalité. Mais Patric Jean va plus loin: pour lui, les différences biologiques entre l’homme et la femme servent à justifier les inégalités. Partant du principe que leur phallus se dresse vers l’avant, beaucoup de “

” (l’équivalent de féministes) défendent en effet l’idée que l’homme doit –pour s’accomplir– déployer son potentiel agressif. Après tout, affirment-ils,

. Si vous le castrez, vous mettez en danger la survie de l’espèce humaine. D’autres vont jusqu’à dire qu’il est normal que l’homme occupe la position dominante dans la société, puisqu’il serait génétiquement programmé pour ça… Vous accorderez à cette théorie le crédit qu’elle mérite. Il est pour l’instant difficile de savoir si les hommes sont génétiquement plus “violents” ou “agressifs” que les femmes. Peut-être cette question sera-t-elle résolue un jour, mais dans l’état actuel des choses, la plupart des chercheurs estiment qu’il est impossible de répondre.

La violence -qu'elle soit féminine ou masculine- est avant tout humaine, disent-ils. Elle fait partie de nos pulsions. Et il nous appartient de maitriser ces pulsions, de les sublimer, de les transformer en quelque chose de constructif. Le problème, évidemment, c'est quand certains individus expriment leur violence de la façon la plus archaïque. Ils crient. Ils menacent. Ils lâchent des phrases affreuses afin de détruire l'autre. Et parfois même ils tapent. Ce qui conduit Patric Jean à la grave question de la violence conjugale. En moyenne, une femme meurt tous les trois jours, dit-il. Une femme se fait casser la figure toutes les minutes. Mettant complètement de côté le problème des hommes battus (qui existe pourtant bel et bien), Patric Jean se concentre sur l'idée que les hommes seuls sont dangereux. La question pourtant aurait eu le mérite d'être posée: les femmes sont-elles réellement moins agressives dans les couples? Pour quelle raison la violence féminine ne fait-elle l'objet d'aucune étude? Serait-ce que cette violence s'exprime de façon plus insidieuse? plus verbale? moins physique (donc moins spectaculaire)? Ou serait-ce, tout simplement, que les victimes n'oseraient pas porter plainte? La violence psychologique, invisible, est certainement plus difficile à faire constater que les coups et blessures. Mais est-elle moins destructrice?

En évitant de traiter ce problème de la violence féminine, Patric Jean offre à ses détracteurs une brèche par où s’engouffrer. Car son documentaire, tout passionnant qu’il soit, donne l’impression d’être de parti-pris: à trop vouloir dénoncer la violence des hommes, il finit par les diaboliser. Mais les hommes, même les plus violents, ne sont-ils pas des victimes? On les a éduqué dans l’idée qu’ils devaient avoir le plus gros pénis et la plus grosse voiture pour obtenir la plus belle femme. On les a conditionné pour devenir des leaders, des sur-mâles, des chefs et des protecteurs. Et voilà que dans leur couple, plus rien ne va… Que font-ils alors? Ils ne dominent plus rien du tout. Ils frappent. La violence est le contraire de la domination. La violence est un aveu d’impuissance. Frapper une femme, ce n’est pas la dominer. C’est au contraire faire la preuve que l’on est complètement dépassé par elle. Ceux et celles qui frappent ou qui insultent ne maitrisent rien du tout. Ils perdent le contrôle. Ils ne trouvent pas de solution, ils sont incapables de communiquer, ils perdent les pédales. Les hommes qui battent leur femme (et réciproquement) n’ont rien à voir avec des dominants. C’est le point sur lequel la démonstration de Patric Jean achoppe, à mon sens. Le fait de conditionner des petits garçons à devenir des dominants ne les conduit pas forcément à devenir des violents. C’est antithétique.

A lire: une interview de Patric Jean sur le site Second Sexe.
A signer (si vous êtes un homme): la pétition lancée par Patric Jean est un simple appel à plus d’égalité homme-femme : «Nous les hommes, nous sommes en position de force et nous trouvons cela injuste.»
Le film de Patric Jan a été projeté en avant-première lors du Festival du Film Gay et Lesbien de Paris. Il est maintenant projeté en salle. Allez-y. C’est un film de salubrité publique.