La Belgique continue à s’enfoncer dans un chaos
institutionnel de plus en plus inextricable. Alors
que le roi tente
toujours d’éviter des élections législatives anticipées, à la suite de
la démission du Premier ministre, Yves Leterme (du parti
chrétien-démocrate flamand, CD&V), les partis politiques flamands
sont déjà entrés en campagne électorale, court-circuitant les efforts
royaux et marginalisant de facto Albert II, un monarque qu’ils n’aiment
guère. Leterme a ainsi annoncé mercredi qu’il ne
conduirait pas la bataille électorale qui s’annonce, laissant la place à
Marianne Thyssen, la présidente du CD&V, qui deviendra sans doute
la première femme à la tête du gouvernement belge.

Preuve que la page est
déjà tournée, dans les couloirs de la Chambre des députés et dans les
médias, on ne discute plus que de la date du scrutin, qui devra avoir
lieu avant fin juin. Problème : plusieurs responsables flamands estiment
que de telles élections seront inconstitutionnelles car la Cour
constitutionnelle belge a exigé, en 2003, la scission avant 2008 de
l’arrondissement électoral et judiciaire bilingue de
Bruxelles-Hal-Vilvorde, qui permet à 100 à 150 000 francophones vivant
en Flandre dans la périphérie bruxelloise de voter pour des partis
francophones de Bruxelles et d’être jugés en français, le dossier sur
lequel est tombé le gouvernement…
Jeudi, les partis flamands, tous bords confondus, des écologistes du
Groen ! à l’extrême droite du Vlaams Belang, ont donc essayé de voter
ladite scission, en force. Le résultat ne faisait aucun doute, les
Flamands disposant de la majorité des sièges (88 contre 62). Déjà, le
8 mai 2008, ils avaient essayé de passer en force, mais les francophones
avaient utilisé toute une série de procédures prévues par la
Constitution pour donner du temps au temps. Mais le délai est désormais
écoulé. Il restait cependant une dernière possibilité, la «sonnette
d’alarme», qui permet de retarder un vote d’un mois si les «intérêts
vitaux» d’une communauté sont menacés, une procédure que les partis
francophones ont actionnée.

Surtout, les francophones savent qu’ils n’ont qu’à bien
se tenir, puisque la majorité flamande restera la majorité. Autrement
dit, la scission de BHV aura lieu. Et son résultat est d’autant plus
certain que les partis indépendantistes ont le vent en poupe : la N-VA,
la LDD et le Vlaams Belang sont donnés à plus de 40%… Le vote bloc
linguistique contre bloc linguistique qui s’annonce sera une première,
le contrat implicite qui unit le royaume étant que la majorité
linguistique n’impose pas sa loi à la minorité. Il y a cependant eu un
précédent historique : fin 1962, c’est avec quelques voix francophones
que les Fourons (au nord de Liège, en Wallonie), ont été rattachés à la
Flandre lors d’un vote tendu à la Chambre sur la fixation de la
frontière linguistique. Mais la situation n’est plus la même
aujourd’hui : d’une part, aucun francophone ne votera en faveur
de la
scission de BHV et, d’autre part, la Belgique est devenue un pays
fédéral où tout est désormais scindé entre néerlandophones et
francophones, y compris les formations politiques. La scission de BHV
sans compensation sera donc vécue comme une agression par les
francophones remettant en cause les fondements de la Belgique.

C’est pour éviter ce scénario que le roi a essayé
de trouver des solutions de rechange avec le seul soutien des partis
francophones. Mais ni les libéraux flamands de l’Open Vld qui, en
quittant le gouvernement, ont provoqué la crise actuelle, ni les
socialistes flamands du SPA, qui sont dans l’opposition, n’ont voulu
apporter leur soutien au CD&V. Dès lors, le roi n’a eu d’autre
solution que d’accepter, lundi, la démission de Leterme. Et il ne pourra
que constater que les législatives sont inévitables. Vu la
radicalisation de la Flandre, il sait que le résultat du scrutin
accouchera d’un pays encore plus ingouvernable, néerlandophones et
francophones ayant manifestement décidé de ne plus rien négocier.
Photos: Thierry Monasse (non reproductibles sauf autorisation)
NB: ce papier est paru aujourd’hui dans Libération.