Les budgets nationaux vont-ils être à l’avenir préparés à
Bruxelles ? On n’en est pas encore là, mais on s’en rapproche, la crise
grecque ayant mis cruellement en évidence l’absence de gouvernement
économique et politique de la zone euro. Une hémiplégie mise à profit
par les marchés qui ont conduit l’euro au bord du gouffre. «Les
Etats membres doivent avoir le courage de dire s’ils veulent une union
économique et monétaire ou pas, a prévenu hier, avec une franchise
brutale, José Manuel Durão Barroso. S’ils ne veulent pas d’une union
économique, alors il faut oublier l’union monétaire.» Pour «s'attaquer aux racines du
problème», c'est-à-dire à l'indiscipline budgétaire et les
politiques contradictoires, le président de la Commission a présenté une
communication sur «le renforcement de la coordination des
politiques économiques», premier pas vers la création d'un «gouvernement
économique» dont le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de
la zone euro, réuni vendredi à Bruxelles, a souhaité la création.
Le « gouvernement économique», c’est le serpent de mer européen par
excellence. Dès la préparation du traité de Maastricht, la France - et
Jacques Delors, alors président de la Commission - estime qu’une monnaie
et une banque centrale indépendante ne peuvent exister sans un
contrepoids politique. Paris propose notamment que le Conseil des
ministres puisse réformer d’autorité un budget national qui ne
respecterait pas les «grandes orientations de politique économique»
adoptées en commun… Berlin s’étrangle, estimant que Paris s’assoit un
peu vite sur les Parlements nationaux. Le pacte de stabilité et de
croissance doit, dans son idée, suffire à contraindre les Etats à
respecter la stabilitätkultur à l’allemande. Le gouvernement
économique restera donc dans les cartons pendant vingt ans.
L’effondrement de la Grèce a fini par convaincre Berlin qu’il faut
aller plus loin dans l’intégration
politique. «La contrepartie [du
plan européen de sauvetage], c’est que la discipline de chacun devient
le problème de tous : on aura le droit de surveiller les comptes de
l’autre», a admis hier Pierre Lellouche, le secrétaire d’Etat aux
Affaires européennes. La Commission, soutenue par Jean-Claude Trichet,
le président de la BCE, propose que les avant-projets de budgets
nationaux lui soient soumis en amont de leur adoption par les
gouvernements et les Parlements. Il s’agit de s’assurer que ces budgets
s’inscrivent bien dans le cadre de ce qui a été décidé à seize (les
Etats membres de la zone euro) et de vérifier leur impact sur les autres
pays de l’eurozone. «La politique économique d’un pays n’est pas
seulement une affaire nationale, c’est une question d’intérêt commun»,
a plaidé Barroso. Pour Thomas Klau, analyste politique à l’European Council on Foreign
Relations, une telle procédure pose un vrai problème de démocratie : «On
reste au milieu du gué, on est trop dans le technocratique, pas assez
dans le politique. Ce système de surveillance n’est pas intégré dans le
jeu démocratique des Etats membres. Ce n’est pas politiquement viable.»
Si la proposition fait déjà débat à gauche (lire ci-contre), elle
suscite un début de malaise au sein du gouvernement de Nicolas Sarkozy.
Devant les députés, Christine Lagarde, la ministre de l’Economie a
estimé «utile» de «croiser les documents» budgétaires
des pays européens. Et de préciser : «Il n’est pas question […]
d’examiner toutes les grandes lignes du budget de chacun des Etats, mais
simplement d’avoir une indication concernant les directions
fondamentales adoptées et les soldes.»
Mais le porte-parole du
gouvernement, Luc Chatel, s’est lui montré beaucoup plus réservé face à
cette perspective, rappelant que «c’est le Parlement [français] qui
vote le budget de la nation». En guise de voie médiane, Alain
Lamassoure, le président (UMP) de la commission du budget du Parlement
européen, a hier estimé nécessaire «que les Parlements nationaux
soient impliqués». Il propose que cet exercice de coordination
budgétaire leur revienne : ils discuteraient entre eux par
vidéoconférence des équilibres budgétaires dans le cadre européen.
Autant dire que la proposition de
Bruxelles risque de déclencher de furieux débats dans les Etats membres,
surtout dans ceux où le Parlement joue un rôle majeur, comme en
Allemagne… Sans compter deux autres propositions de la Commission qui
risquent elles aussi de susciter son lot de controverses. Bruxelles veut
ainsi élargir la surveillance commune à la dette publique, un élément
jusqu’ici négligé, et surtout ne pas s’en tenir aux seuls budgets, mais
aussi aux autres éléments de l’économie (formation de bulles, comme la
bulle immobilière en Espagne ou en Irlande, différence de
compétitivité, etc).
D'autre part, elle juge nécessaire de «redonner
des dents» au pacte de stabilité : «sans sanction, on ne sera
pas crédible» dans notre volonté de faire respecter la discipline
budgétaire, a expliqué Barroso. Bruxelles évoque deux pistes :
conditionner le versement des aides régionales au respect du pacte et
instaurer un système d'amendes si les «politiques fiscales sont
inadéquates». Rien n'est dit, en revanche, sur la suspension du
droit de vote au Conseil des ministres, une sanction hautement politique
souhaitée par Berlin.
Photos: Thierry Monasse (non reproductibles sauf autorisation)
N.B.: ce papier est paru ce matin dans Libération papier.