C’était en décembre. L’euro enfonçait le plafond des 1,50 dollar. Les analystes s’interrogeaient alors
doctement sur la vitesse à laquelle le billet vert allait poursuivre sa chute, certains prédisant même un euro à 2 dollars pour la fin 2010. Hier, la monnaie unique s’échangeait sur le marché asiatique à 1,2234 dollar, son niveau d’avril 2006, avant de se reprendre à plus de 1,23 dollar. (1,2434 ce mardi). Désormais, les mêmes analystes se demandent tout aussi doctement où s’arrêtera la fonte de l’euro, certains évoquant même sa prochaine disparition. Ainsi, l’ancien patron de la Réserve fédérale (actuel conseiller économique d’Obama) a estimé vendredi, que, «de toute évidence […] l’euro a échoué et est tombé dans un piège qui était manifeste depuis le début», faute de politique budgétaire commune. Pas moins. Ce n'est pourtant pas la première fois que l'on assiste à de telles montagnes russes : l'euro est déjà descendu, en octobre 2000, à 0,82 dollar contre 1,17 au moment de son lancement en janvier 1999, et a atteint son record historique en juillet 2008, à 1,60 dollar, avant de retomber à 1,25 trois mois plus tard, soit 35 cents de moins. Cette fois, la chute n'a atteint que 28 cents en six mois… En fait, il faut plutôt s'intéresser à la moyenne annuelle. Et là on s'aperçoit qu'à 1,23 dollar, la monnaie unique se situe dans sa moyenne historique et vaut toujours 40% de plus qu'en octobre 2000.
«Il n’y a donc pas de quoi paniquer», s’amuse Jean Pisani-Ferry, qui dirige le centre européen de réflexion économique Bruegel. Pour lui, la baisse de l’euro est normale, les perspectives économiques de la zone n’étant guère brillantes, vu les programmes d’austérité que les gouvernements vont mettre en œuvre afin de purger leurs comptes publics. En outre, la Banque centrale européenne continuera à se montrer accommodante en laissant son principal taux d’intérêt à 1% pour longtemps, ce qui rend la monnaie unique peu attractive. Même si les «fondamentaux» sont davantage dégradés aux Etats-Unis (déficit de la balance commerciale et des paiements, forts déficit et dette publics), la croissance y est plus vigoureuse et il est probable que la Réserve fédérale remontera prochainement ses taux d’intérêt. Bref, tout milite pour que les investisseurs achètent du billet vert et non de la monnaie unique. Si l’heure de «l’euro faible» a, semble-t-il, sonné, cela ne signifie pas sa fin prochaine : «J’ai assisté à une conférence avec des investisseurs organisée par Goldman Sachs il y a quelques jours, raconte Pisani-Ferry. On a demandé à la salle qui croyait que l’euro existerait encore dans dix ans. L’immense majorité a levé la main.»
Il reste que, sauf pour les touristes qui se rendent aux Etats-Unis, l’affaiblissement de l’euro est une
excellente nouvelle pour la croissance européenne, comme en témoigne, par exemple, le boom des exportations allemandes depuis le début de l’année. Certes l’inflation devrait légèrement augmenter (autour de 2%), puisque les prix des produits importés vont mécaniquement augmenter. Mais l’euro faible est incontestablement une vraie bouffée d’air frais pour la zone euro confrontée aux exigences contradictoires des marchés : réduire les dettes publiques tout en n’étouffant pas la reprise, ce qui risque d’être difficile. D'autant que l'Allemagne souffle comme à plaisir sur les braises, contribuant à paniquer les marchés. Depuis cinq mois, Berlin multiplie les déclarations contradictoires comme si l'Allemagne cherchait à rendre inopérants les plans de sauvetage européens (celui de la Grèce du 2 mai et de la zone euro du 9 mai). «Tout ce que nous avons fait avec ces plans, c'est gagner du temps pour que les disparités en termes de compétitivité et d'écarts de déficits entre les pays de la zone euro soient réglées», a ainsi affirmé dimanche la chancelière Merkel. Pour elle, «la spéculation contre l'euro n'a été et n'est possible que parce qu'il y a d'énormes disparités dans la solidité économique et dans l'endettement respectif des Etats membres». Ou comment transformer la crise grecque en crise de la zone euro. Berlin veut, en réalité, profiter de la crise pour imposer son modèle de rigueur budgétaire à l'ensemble de la zone euro. Le problème est que si tout le monde fait au même moment de l'austérité, c'est la récession assurée, y compris pour l'Allemagne dont la croissance dépend largement de ses partenaires. Or, une telle spirale ne pourra qu'entraîner une défiance encore plus grande des marchés.
Les partenaires de Berlin commencent à perdre patience face à ce forcing qui menace de déstabiliser la zone euro. Dimanche, Yves Leterme, le Premier ministre belge (démissionnaire), a ouvert le feu : «On a conclu des accords pour défendre l’euro. On ne peut pas, comme madame Merkel, mettre en doute leur faisabilité.» Jean-Claude Juncker, le Premier ministre luxembourgeois et président de l’eurogroupe, en a rajouté une couche, hier à l’ouverture de la r
union des ministres des Finances de la zone euro : «Certains feraient mieux de réfléchir avant de parler.»
Photo: Thierry Monasse (non reproductible sauf autorisation)
N.B.: ce papier est paru ce matin dans Libération