
C’est la chancelière allemande qui est largement responsable de cette cacophonie. Angela Merkel a trainé des pieds, pour des raisons de politique intérieure (lire par ailleurs), pour affirmer sa solidarité avec les pays du sud de l’Europe confrontés à la défiance des investisseurs, alors que l’Élysée la pressait d’agir rapidement afin d’enrayer une crise de confiance qui menaçait de dégénérer. Même si Nicolas Sarkozy s’est abstenu de toute critique publique, il n’a pas dissimulé, en privé, son exaspération devant la lenteur et les réticences allemandes.
Rien n’a été facile. Le plan d’aide à la Grèce de 80 milliards d’euros a donné lieu à de véritables psychodrames. Et même lorsque la crise a menacé d’emporter l’euro, Berlin s’et fait tirer l’oreille. Ainsi, le méga-plan de stabilisation financière destiné à venir en aide aux États qui n’arriveraient plus à se financer à des conditions normales sur les marchés n’a été adopté, le 10 mai, aux petites heures du matin, qu’après d’interminables négociations. Pour Berlin, il n’était pas question de permettre à la Commission d’emprunter sur les marchés pour prêter de l’argent aux pays en difficulté : cela ressemblerait trop à un sauvetage direct que les traités européens interdisent. Ses partenaires ont donc accepté de créer une société ad hoc de droit luxembourgeois (la « facilité européenne de stabilité financière ») qui pourrait, elle, emprunter sur les marchés, la Commission se voyant simplement octroyer le droit d’emprunter de son côté 60 milliards d’euros. Pas question non plus d’un engagement sans limites comme le voulait Paris : ce sera 440 milliards d’euros au maximum, soit 4 % du PIB de l’Union. Pas question non plus d’un engagement solidaire souhaité par l’Élysée : chaque pays de la zone euro (plus la Pologne et la Suède qui y participent volontairement) ne sera garant que d’une partie des sommes empruntées, en fonction de sa participation au capital de la BCE (18,9 % pour Berlin, 14,2 % pour Paris), avec une marge de sécurité (120 % de l’engagement initial).
Mais, Berlin a, dès le 11 mai, posé de nouvelles exigences qu’elle a finalement abandonnées à la
demande de Paris : pas question de demander l’autorisation préalable des parlements nationaux à chaque fois qu’il faudra venir en aide à un pays. De même, la société ad hoc empruntera au meilleur taux possible sur les marchés (la France espère obtenir le AAA++, la meilleure note) et non en fonction des taux qu’obtiendrait chaque pays qui garantit telle ou telle tranche du prêt, ce qui serait revenu à mettre en place une série de prêts bilatéraux… Il aura donc fallu six mois de psychodrame pour que la zone euro se dote enfin d’un mécanisme quasi-fédéral de crise.

« L’Allemagne a fait de nombreux pas vers nous », se réjouit-on à l’Élysée. Mais, pour Nicolas Sarkozy, ces tergiversations allemandes n’ont seulement servi à rien, mais ont couté très cher à la zone euro : une intervention rapide et massive des partenaires d’Athènes aurait stoppé les attaques des spéculateurs contre la dette grecque et empêché la contagion au reste de la zone euro.
Photos: Thierry Monasse (non reproductible sauf autorisation)