Personne n’aurait parié un centime sur ce garçon joufflu lorsqu’il a pris la tête de la Nieuw-Vlaams
Alliantie (N-VA - Nouvelle alliance flamande) au lendemain de la déculottée électorale qu’elle venait de subir, en juin 2003. Ce parti indépendantiste, qu’il a créé en 2001 avec Geert Bourgeois, actuel vice-ministre président de la région flamande, n’était alors pas parvenu à dépasser les 5% de voix nécessaires pour obtenir des élus.

Sept ans et deux scrutins législatifs plus tard, ce fin manœuvrier est parvenu à faire de son groupuscule le premier parti de Flandre avec 28,2 % des voix dans cette région. Si l’on additionne les scores de la N-VA, de l’extrême droite du Vlaams Belang et de la Liste Dedecker, ce sont 44 % des Flamands qui ont voté pour des partis séparatistes. «C’est un véritable tremblement de terre»,a reconnu l’ancien Premier ministre Mark Eyskens (CD&V, chrétiens-démocrates flamands). Bart De Wever est donc devenu incontournable : il sera difficile de former une majorité sans lui et impossible de réformer l’Etat, une promesse de l’ensemble des partis flamands, contre sa volonté, une majorité des deux tiers au Parlement étant nécessaire.
Pourtant, il a déjà refusé le poste de Premier ministre du royaume. Diriger un pays dont il souhaite la disparition est un non-sens. Mais il sait qu’il souffre d’un sérieux handicap : à l’inverse des autres partis politiques, il n’est pas présent, et pour cause, de l’autre côté de la frontière linguistique qui sépare néerlandophones et francophones (Bruxelles et la Wallonie, soit 40% de la population totale). Autrement dit, à l’échelle du royaume, la N-VA n’est pas majoritaire. Selon des résultats encore partiels, ce sont les socialistes qui le sont : le PS francophone obtient 36,6 % des voix et son homologue flamand, le SP. A, 15 % des voix. En bonne logique, ce sont donc eux qui devraient obtenir le poste de Premier ministre, à condition qu’ils parviennent à former une majorité, ce qui est très loin d’être acquis, néerlandophones et francophones n’étant absolument pas d’accord sur l’étendue de la réforme de l’Etat à mener, la septième en vingt ans.
Le leader indépendantiste, un rien provocateur, a fait savoir qu’il ne s’opposerait pas à la désignation d’un francophone à ce poste, qui pourrait alors revenir au patron du PS, Elio Di Rupo, alors qu’il est réservé depuis trente ans aux Flamands. A condition, bien sûr, qu’il s’engage à transformer la fédération belge en une «confédération», afin que l’Etat soit réduit à l’exercice de quelques compétences régaliennes, une dernière étape avant la scission.

Pour acquérir une légitimité qui lui fait défaut, il conclut en 2003 une alliance avec Yves Leterme, tout juste élu à la tête des chrétiens-démocrates flamands. Celui-ci a besoin d’une force d’appoint pour redevenir majoritaire en Flandre et déloger les libéraux. Le succès est immédiat : le cartel CD&V/N-VA parvient à reconquérir la région en 2004 avant de remporter les législatives de juin 2007. Fort intelligemment, la N-VA refusera d’entrer au gouvernement qui sera péniblement constitué après presqu’un an de crise afin de garder les mains propres. Cette intransigeance sera payante. En juin 2009, aux régionales, la N-VA obtient 13,1% des voix et, un an d’immobilisme institutionnel plus tard, elle double son score.
N.B.: Ce papier est paru dans Libération ce matin.
Photo: Thierry Monasse (non reproductible sauf autorisation)
Dessin: Kroll