Mis à part quelques rares cantons, en Flandre occidentale
et le long de la frontière linguistique, la Flandre a massivement voté
pour la N-VA (Nouvelle alliance flamande) de Bart De Wever.
Avec 28,2% des voix et 27 députés sur 150 à la Chambre des députés, le
parti séparatiste est devenu le parti dominant dans le nord, loin devant
les chrétiens-démocrates (CD&V) qui s’effondrent à 17,6%, les
socialistes du SP.A (15%) et les libéraux de l’Open VLD (14%). C’est la
première fois que les Flamands placent en tête un parti qui fait de la
disparition de la Belgique sa revendication principale : ni la défunte
Volksunie ni l’extrême droite du Vlaams Belang (qui boit la tasse avec
12,6% des voix et 12 députés) n’ont jamais réussi à dépasser la seconde
place. Cette percée de la N-VA ne peut qu'accélérer
«l'évaporation» du Royaume de Belgique, un mot qu'aime
employer Bart De Wever. Même si, comme il le répète, «nous ne
voulons pas la révolution, nous ne voulons pas proclamer l'indépendance
de la Flandre du jour au lendemain», car «70% des Flamands
n'ont pas voté pour nous». Certes, mais si on additionne l'ensemble
des voix accordées aux partis indépendantistes (N-VA, Vlaams Belang et
Liste Dedecker), on atteint le coquet score de 44%, ce qui donne de la
marge au leader indépendantiste pour arriver à ses fins. «L'opinion
s'est radicalisée», regrette Philippe Geluck, l'auteur du Chat
et belge francophone.
Néanmoins, dimanche, tous les leaders politiques néerlandophones et
francophones ont fait comme si l’irruption de la N-VA ne bouleversait
pas en profondeur le paysage politique. Chacun s’est mis à la recherche
d’une majorité. Ainsi, le PS francophone, grand vainqueur en Wallonie et
à Bruxelles (il n’y a plus de partis nationaux) avec 36,6% des voix et
26 députés, loin devant les libéraux du MR (24,7%), a offert ses
services à la N-VA : le message «d’une grande partie de la
population flamande pour une évolution institutionnelle du pays doit
être entendu», a proclamé Elio Di Rupo, le patron du PS. Même
réaction des socialistes néerlandophones, cette famille étant, en voix,
la première du pays.
Mais en réalité, les francophones savent qu’ils n’ont plus le choix :
il leur faudra accepter une
réforme de l’Etat, la septième depuis 1970,
qui ira bien plus loin que ce qu’ils souhaitent et dépouillera un peu
plus l’Etat de ses compétences au profit des trois régions (Flandre,
Wallonie, Bruxelles). Sinon, ce sera la paralysie. Une hypothèse
redoutée, les prochaines élections risquant de donner à «De Wever et
compagnie la majorité absolue», comme mettait en garde le
quotidien flamand Het Laatste Nieuws. C’est pourquoi les partis
francophones ont inscrit la «réforme de l’Etat» dans leur
programme, en se gardant bien de lui donner un contenu concret. C’est toute la différence avec le scrutin de 2007 qui avait vu le
triomphe d’Yves Leterme et de son cartel CD&V et N-VA. A cette
époque, seuls les néerlandophones réclamaient plus de fédéralisme. Les
francophones, sous-estimant le désir du nord d’alléger le poids de
l’Etat et d’en finir avec les droits linguistiques reconnus aux 150
000 francophones de la périphérie bruxelloise, pensaient que leur refus
suffirait à tuer dans l’œuf ces revendications autonomistes. Après tout,
il faut être deux pour divorcer. Ils avaient oublié qu’on ne peut
forcer personne à cohabiter. Une erreur qu’ils payent à présent : le
triomphe de la N-VA s’explique par les trois ans de crise que vient de
traverser le pays (quatre Premiers ministres). Bref, les francophones se
sont résignés à ce qu’ils considéraient jusque-là comme inacceptable.
Si en novembre 2007, 35 000 personnes, surtout francophones, avaient
défilé à Bruxelles pour l’unité de la Belgique, ils n’étaient plus que 2
000 en mai.
Cette résignation francophone ne
signifie pas un accord. Car la Flandre d’une part, Bruxelles et la
Wallonie d’autre part, ne sont pas d’accord sur grand-chose. Le Nord,
qui vote à droite à 80%, exige le maximum de dévolution aux régions, y
compris en matière fiscale. La N-VA va jusqu’à réclamer la scission de
la sécurité sociale et la suppression du statut de région pour
Bruxelles. Les francophones, qui votent à gauche à 64%, veulent bien que
l’on mette de l’ordre dans les compétences, mais pas que l’on touche à
la sécurité sociale ou Bruxelles. En fait, il n'y a qu'une issue : soit les francophones acceptent une
nouvelle réforme de l'Etat qui en appellera d'autres, soit ils refusent
de suivre les néerlandophones au risque de précipiter l'éclatement du
pays. Philippe Geluck craint un «coup d'Etat progressif des
Flamands». Geert Van Istendael, un écrivain néerlandophone, n'y
croit pas : «Comme me le disait un ancien président de la Chambre
des députés : «la Belgique va se dissoudre comme un morceau de sucre
dans une tasse de café».» Cette «tasse de café, c'est l'Europe»,
qui a permis aux régionalismes d'éclore en leur offrant une protection
plus large que celle de l'Etat-nation. «Mais les Belges, par leur
histoire, savent qu'un Etat, c'est quelque chose qui passe»,
poursuit-il. D'où l'indifférence polie qui a accueilli le score de la
N-VA.
Photos: Thierry Monasse (non reproductibles sauf autorisation)
N.B.: analyse parue ce matin dans Libération