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Libération
Blog «Coulisses de Bruxelles»

L’évaporation de la Belgique s’accélère

Peut-on parler de surprise ? Hier, le socialiste francophone Elio Di Rupo, chargé de négocier la formation d’un accord de gouvernement, a jeté l’éponge, constatant qu’il était impossible de s’entendre avec les flamingants (nationalistes flamands) de la N-VA (parti indépendantiste) et du CD&V (démocrates-chrétiens confédéralistes). L’heure est d’une rare gravité si l’on en croit le message d’adieu du patron du PS francophone : « j’espère que nous pourrons continuer à vivre ensemble, Flamands, Wal
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publié le 4 septembre 2010 à 15h51
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h11)
500_0_KEEP_RATIO_SCALE_CENTER_FFFFFF Peut-on parler de surprise ? Hier, le socialiste francophone Elio Di Rupo, chargé de négocier la formation d’un accord de gouvernement, a jeté l’éponge, constatant qu’il était impossible de s’entendre avec les flamingants (nationalistes flamands) de la N-VA (parti indépendantiste) et du CD&V (démocrates-chrétiens confédéralistes). L’heure est d’une rare gravité si l’on en croit le message d’adieu du patron du PS francophone : « j’espère que nous pourrons continuer à vivre ensemble, Flamands, Wallons, Bruxellois et Germanophones, en paix et dans la prospérité ». En clair, il n’est même plus certain que la paix soit garantie entre le nord et le sud du pays…
Elio Di Rupo, grand vainqueur des élections législatives du 13 juin au sud du pays, nommé « préformateur » le 9 juillet, avait pourtant fait énormément de concessions aux thèses flamingantes afin d’aboutir à la formation d’une majorité avec les indépendantistes flamands de la N-VA, elle-même vainqueur du scrutin au nord du pays. En vain, car, encore une fois, les Francophones se sont bercés d’illusions sur la volonté de la Flandre de négocier quoi que soit : pour la N-VA, et sa succursale du CD&V, qui représentent à eux deux près de la moitié du corps électoral flamand, les Francophones n’ont d’autres choix que de s’aligner sur ses thèses s’ils veulent maintenir encore un temps la fiction belge avant son « évaporation » définitive, selon le mot de Bart De Wever, le leader de la N-VA.
Après avoir accepté d’abondants transferts de compétences de l’État fédéral vers les régions, y compris en scindant en partie la sécurité sociale, ce que réclamaient non seulement la N-VA, mais l’ensemble des partis flamands, Di Rupo a été jusqu’à abandonner à leur sort les Francophones de Flandre et a reconnu la continuité territoriale de la Flandre en scindant l’arrondissement bilingue électoral et judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV) et ce, sans aucune contrepartie, territoriale ou autre. Mais, en voulant préserver – très temporairement et très timidement - les droits des francophones des six communes à facilités (quelques droits linguistiques pour les Francophones) de l’immédiate périphérie bruxelloise, situées en Flandre bien que majoritairement composées de francophones, et en refusant de livrer Bruxelles la Francophone aux appétits Flamands, il a déplu au nouveau maître de la Flandre, Bart De Wever, qui a refusé de poursuivre les négociations. Ce dernier a manifestement décidé d’enfoncer le message à coup de marteau dans la tête des Francophones : son programme n’est pas négociable et la Flandre peut parfaitement s’accommoder d’une Belgique fédérale sombrant dans le chaos, ce qui ne pourra qu’accélérer sa liquidation définitive…
Il n’y a dans l’attitude intransigeante de la N-VA et du CD&V strictement rien d’étonnant : croire que des Francophones attachés à l’unité de la Belgique puissent s’entendre avec des Flamands qui préparent déjà l’après Belgique, même si une partie d’entre eux n’osent pas encore le reconnaître, relevait pour le moins d’une naïveté confondante.
L’éditorial du Soir de ce matin, le principal journal francophone, signé par ma consœur Béatrice Delvaux, en dit long sur le désarroi francophone : « que veut la Flandre ? » s’interroge-t-elle alors que la question réelle est plutôt de savoir ce que veulent les Francophones. Depuis 50 ans, ils se contentent d’essayer, en vain, de freiner les demandes flamandes d’une plus grande autonomie, sans aucun projet de rechange, si ce n’est une envie confuse d’un retour à la Belgique « heureuse » de papa. Les négociations de ces derniers mois ont une nouvelle fois montré  les limites de l’exercice : la Flandre en a assez, légitimement ou non, c’est une autre question, de devoir arracher ce qu’elle estime lui revenir de droit.
Mutatis Mutandis, les Francophones se comportent comme le conjoint bafoué qui tente de retenir l’être autrefois aimé alors que celui-ci a déjà tourné la page… Didier Reynders, le patron des libéraux francophones, écartés par Elio Di Rupo des négociations de ces dernières semaines, s’est ainsi légitimement interrogé sur l’absence de projet des Francophones, des Francophones aussi divisés que des tribus gauloises. D’ailleurs, le fait même que le PS ait écarté le MR, fragilisant ainsi le « front francophone », montre à quel point le sud du pays n’a toujours pas bien compris ce qui se joue dans cette affaire : on n’en est plus à la formation classique d’un gouvernement où l’on peut écarter tel ou tel parti pour régler ses comptes, on négocie l’existence même d’un pays.
La crise actuelle n’est assurément pas la dernière et la Belgique ne disparaitra sans doute pas d’un coup. Mais le nord du pays a clairement emprunté un chemin qui l’éloigne de plus en plus du sud. Et, c’est le plus frappant, dans la plus totale indifférence des deux peuples.