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Blog «Coulisses de Bruxelles»

Comment je me suis fait jeter par Christine Lagarde

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Ami internaute, je te vois déjà saliver : après Rachida Dati (oh, que j’aime sa façon de confondre inflation et fellation :-D), le taulier de ce blog aurait-il réussi à battre le record de l’interview la plus courte de l’histoire du journalisme ? Je mets immédiatement fin à l’insoutenable suspens et je réponds : oui. La ministre des Finances, Christine Lagarde, décline depuis trois mois toutes mes propositions d’interview. « Tu (on se tutoie facilement au ministère des Finances) ne te rends pas
DR (Monasse/europolitiquephoto.eu)
publié le 27 septembre 2010 à 23h03
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h11)
20100907 EcoFin 18 Ami internaute, je te vois déjà saliver : après Rachida Dati (oh, que j’aime sa façon de confondre inflation et fellation :-D), le taulier de ce blog aurait-il réussi à battre le record de l’interview la plus courte de l’histoire du journalisme ? Je mets immédiatement fin à l’insoutenable suspens et je réponds : oui. La ministre des Finances, Christine Lagarde, décline depuis trois mois toutes mes propositions d’interview. « Tu (on se tutoie facilement au ministère des Finances) ne te rends pas compte, tu ne vis pas à Paris, tu ne sais ce qu’est l’agenda d’un ministre, elle n’a pas une demi-heure à te consacrer », a expliqué tout à l’heure, un tantinet méprisant, au bouseux européen que je suis, le porte-parole de la ministre, Jean-Marc Plantade. C’est vrai, quoi, vous entendez Lagarde dans les médias vous ?
Reprenons cette histoire qui illustre à merveille la grandeur et la misère du journalisme et la difficulté d’informer. En juin dernier, ARTE, l’une des rares chaines à s’intéresser encore à des sujets qui font fuir la plupart de ses consœurs, me commande un film sur la crise de la dette souveraine que la zone euro vient de traverser, film que mon compère, l’excellent Jean-Michel Meurice, réalisera. Une soirée Théma est même programmée (ce sera le 7 décembre prochain) avec la diffusion d’un autre film que j’ai réalisé, toujours avec Jean-Michel Meurice, sur la création de l’euro.
Derechef, je me mets au travail et contacte toutes les personnalités que je voudrais avoir dans ce film, avant même d’en écrire le scénario. Je sais que les agendas sont chargés, mais j’ai prévu de commencer le tournage fin juillet et de le terminer début octobre avant d’attaquer le montage. J’envoie notamment, fin juin, un SMS au porte-parole de la ministre, Christine Lagarde, en lui expliquant le projet. Le 23 juillet, alors que j’ai déjà rencontré Jean-Claude Juncker, le premier ministre luxembourgeois et président de l’Eurogroupe, et Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne, j’envoie un mail à Plantade, ancien journaliste du Parisien, qui a laissé mon SMS sans réponse. Il me répond le 1er septembre qu’il s’en occupe… Une semaine plus tard, un peu lassé, je recontacte le porte-parole. C’est trop tard, me dit-il désolé : « l’agenda national et international de la ministre est tel qu’elle n’a pas de temps à te consacrer ». Même pas une demi-heure ? « Non ». Mazette ! Manifestement, ses collègues européens, eux, glandent sévère…
L’Élysée, contacté, décline : Xavier Musca, le conseiller économique de Nicolas Sarkozy, à la différence du conseiller spécial, Henri Guaino, ou du conseiller diplomatique, Jean-David Lévitte, refuse de s’exprimer face caméra. Là, je suis un peu embêté. Alors que les Allemands, les Grecs, les responsables européens nous ont reçus sans problème, nous n’avons aucune autorité politique française en face. Arte nous accordant un sursis pour le tournage jusqu’à la mi-octobre, je recontacte Jean-Marc Plantade en lui faisant valoir qu’elle sera à Bruxelles les 27 et 28 septembre pour un conseil des ministres des Finances, puis à nouveau les 30 septembre et 1er octobre pour un conseil informel et qu’on devrait pouvoir dégager un créneau pour une courte interview. Au pire, il y a un autre Ecofin à la mi-octobre. Silence radio. J’insiste très très lourdement. Finalement, le 23 septembre, je débusque le gibier : il me répond qu’il va s’enquérir de la disponibilité de la ministre, même s’il n’y croit pas trop.
Cet après-midi, faute de nouvelles, je rappelle (il ne faut vraiment pas avoir honte dans ce métier). Et là, je me fais gronder, sévèrement : comment, je n’ai toujours pas compris que la ministre est o-ccu-pée ? Je dois vraiment être lourd. Je m’étonne : elle a donné une interview aux Echos il y a quelques jours et s’exprime régulièrement dans les médias : faut-il prendre rendez-vous six mois avant, comme chez l’ophtalmo ? Trois mois avant, c’est trop tard ? Réponse : « ce n’est pas pareil ». Ah bon ? J’ai croisé le chemin de treize ministres des finances français depuis que je couvre l’Union européenne et c’est bien la première fois que je me heurte à une telle suractivité dévoreuse de temps et à un tel renoncement à toute exposition médiatique –qui, je dois le dire, m’avait échappé : « tu ne comprends pas : toi tu es dans ton truc, elle, elle passe d’un sujet à l’autre, d’Areva au budget en passant par le G 20 ». Je ne m’étais pas rendu compte que ses prédécesseurs n’avaient pas autant de dossiers à gérer. D’expérience, je sais que les ministres ont du temps durant les conseils à Bruxelles : « non, elle n’a pas une minute à elle, son temps est étroitement compté à cause de la présentation du budget ». Mais vendredi, le budget aura été présenté. « Elle n’a pas de temps ».
Mais enfin, une demi-heure… Il me coupe : « ce n’est pas une demi-heure, tu le sais très bien, il faut qu’elle la prépare cette interview ». Mais, fais-je valoir de plus en plus interloqué, il s’agit d’une crise qui ne remonte qu’à quelques mois et qui est loin d’être terminée. Et il ne m’a pas semblé que les autres ministres que j’ai rencontrés aient révisé comme des bêtes. Et là, il me lance : « tous les médias veulent l’avoir, Ruquier me poursuit ». Là je bondis : je ne suis pas Ruquier et je ne ferai ni dans le people, ni dans la politique intérieure. « Tu comprends très bien ce que je veux dire ». Ben non, justement. Si elle refuse Ruquier, elle ne va pas accepter Quatremer? Je n’ose comprendre ;-) Je lui fais remarquer, hargneux, que la France sera absente du film alors qu’elle a joué un rôle important dans la résolution de cette crise : « ben tant pis ». Moi qui croyais que le rôle d’un ministre était de communiquer.
Enfin, dernier argument opposé par Plantade : « on attend le remaniement, elle n’a vraiment pas de temps à te consacrer ». Là, je commence à comprendre : la ministre, qui a déjà fait une bourde au printemps dernier en critiquant dans le Financial Times la politique économique allemande alors que Nicolas Sarkozy essayait de convaincre la chancelière d’aider la Grèce, a manifestement peur que je la fasse déraper (je dois avoir une sacrée réputation ;-)) juste avant que le Président ne rebatte les cartes gouvernementales. Brillant comme excuse.
Bref, je n’interviewerai pas Christine Lagarde en dépit de mon insistance. Mais vous saurez pourquoi aucun officiel français ne s’exprime dans mon documentaire sur la crise de la dette souveraine. La ministre est o-ccu-pée et elle prend ses rendez-vous plus de trois mois à l’avance. Jean-Marc, je m’inscris pour le 25 octobre 2011, quelles que soient alors ses fonctions.