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Libération
Blog «Coulisses de Bruxelles»

Belgique : pour un médiateur européen

L’incident est mineur, mais édifiant sur la profondeur du gouffre qui sépare désormais la Flandre du monde francophone. Dimanche, sur la RTBF, l’émission de débats « Mise au point » réunit quelques politiques belges, à propos de l’interminable crise dans laquelle s’enfonce le pays, ainsi que Philipe Geluck. Geluck ? Mais oui, vous savez évidemment de qui il s’agit même s’il n’est pas Français : il s’agit du père du Chat, un Belge francophone, un Bruxellois plus précisément, une star dont le su
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publié le 26 octobre 2010 à 22h58
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h11)
L’incident est mineur, mais édifiant sur la profondeur du gouffre qui sépare désormais la 3dcd91f8-2083-11de-b02b-76f68444491f Flandre du monde francophone. Dimanche, sur la RTBF, l’émission de débats « Mise au point » réunit quelques politiques belges, à propos de l’interminable crise dans laquelle s’enfonce le pays, ainsi que Philipe Geluck. Geluck ? Mais oui, vous savez évidemment de qui il s’agit même s’il n’est pas Français : il s’agit du père du Chat, un Belge francophone, un Bruxellois plus précisément, une star dont le succès ne date pas d’hier. Parmi les politiques invités, le chrétien-démocrate néerlandophone Éric Van Rompuy, le frère de l’autre, un flamingant bruxellois, un pur et dur, même s’il reste fidèle au CD&V, et bien sûr très bon francophone. Lors du débat, Geluck évoque la séparation du pays et suggère, si cela devait arriver, de diviser la « côte belge » en deux pour que chacun ait son bout de mer. Un gag, évidemment, puisque la « côte belge » est tout entière située en Flandre. Éric Van Rompuy n’apprécie pas, mais alors pas du tout, et s’emporte. Mais, ce n’est pas le plus intéressant. Aujourd’hui, Le Soir a publié une interview d’Éric Van Rompuy sur les raisons de son énervement. Et là, je suis tombé de ma chaise : il n’avait jamais entendu parler de Philippe Geluck et du Chat  et donc n’avait pas compris qu’il avait affaire à un surréaliste belge ! Aurait-il entendu parler de Hergé, si celui-ci était né dans la moderne Belgique ? « À vrai dire, je ne connaissais absolument pas Philippe Geluck », reconnaît-il. « Je vois maintenant que c’est un caricaturiste et un essayiste »
J’ai déjà constaté que la méconnaissance du monde francophone en Flandre, une région qui vit en vase clos, est de plus en plus profonde. On aurait tort de croire que la Flandre est davantage tournée vers les Pays-Bas, tout comme Bruxelles et la Wallonie le sont vers la France. Le nord du pays ne s’intéresse que très modérément à ce qui se passe à l’extérieur, sans doute trop occupé à se bâtir une identité commune et à se défendre contre l’intrusion des Francophones belges, minoritaires, mais jugés envahissants… Un Flamand de la Commission européenne me faisait remarquer récemment que les journaux de sa région n’accordent qu’une toute petite place aux programmes télévisés néerlandais alors que les journaux francophones placent sur le même plan la RTBF et les télés françaises, un signe, selon lui, de cette absence de curiosité pour l’autre.
Van_rompuy_eric Éric Van Rompuy, qui n’a même pas pris la peine de se renseigner sur les invités francophones de l’émission à laquelle il participait, est tout aussi symptomatique de cette incompréhension entre le nord et le sud. On comprend mieux les clichés auxquels s’accrochent les partis politiques flamands dès lors qu’il s’agit du sud du pays (faignants, voleurs, tricheurs, corrompus, etc.).
Réciproquement, les Francophones s’intéressent eux aussi de moins en moins à ce qui se passe au nord, même si le mal est moins profond. Et pour cause, savoir ce qui se passe au nord est vital, puisque ce sont les Flamands qui dominent de la tête et des épaules ce pays.
On comprend mieux pourquoi aucun accord de gouvernement n’est plus possible entre les deux partis du pays. Ce sont deux espaces politiques, culturels, médiatiques, mentaux que plus rien n’unit, si ce n’est un espace géopolitique hérité du passé. Durant cinquante ans, le mouvement flamand s’est échiné à couper tous les liens entre Néerlandophones et Francophones et Éric Van Rompuy est la preuve vivante de leur réussite.
La Belgique est entrée dans une grave crise politique qui dure depuis juin 2007, sans interruption, et rien ne laisse présager qu’elle parviendra cette fois à s’en sortir. La détestation et la méfiance ont atteint un tel degré, que toute tentative de compromis semble condamnée à échouer. La désignation d’un « conciliateur » par le Roi, la semaine dernière, en la personne de Johan Vande Lanotte, un socialiste flamand, après l’échec de Bart De Wever, le leader nationaliste de la N-VA, n’est qu’un épisode de plus dans cette interminable agonie.
Dès lors, l’Union européenne ne peut pas continuer à faire comme si la crise belge, Le_chat_internet manifestement entrée dans sa phase terminale, ne la concernait pas, d’autant que le Royaume abrite sa capitale de fait. Elle doit s’emparer du problème et proposer sa médiation, comme elle l’a fait dans d’autres conflits à ses frontières. On me rétorquera que justement, le conflit communautaire belge est interne à l’Union. Raison de plus me semble-t-il pour qu’elle s’intéresse à ce qui se passe chez elle. Pourquoi ne pas proposer une médiation européenne en nommant un ou plusieurs sages qui n’ont aucune implication politique, historique ou émotionnelle dans la crise belge ? Ce ou ces sages mettraient toutes les questions qui fâchent sur la table et proposeraient une solution qui pourrait aller du maintien d’un Royaume belge doté d’un fédéralisme rénové à une scission pure et simple. Cette médiation froide est, à mon sens, la seule façon d’en finir avec la crise permanente belge qui de toute façon s’imposera un jour ou l’autre à l’agenda européen.