Brutal retournement ce matin dans la morosité du Grand Paris: les dix équipes d'architectes qui avaient participé à la consultation internationale sur la métropole ont présenté leur solution de transports. Le but: sortir de l'affrontement entre les deux projets du gouvernement et de la région, et par le haut s'il vous plait. C'était tonique.
Réunies dans l'Atelier international du Grand Paris (AIGP), les dix équipes ont réussi à produire un plan commun, miracle dans cette profession qui la joue rarement collectif . Lors de la conférence de presse qu'ils ont tenue ce matin, ils l'ont reconnu. «C'est étonnant que nous soyons restés dans la cohérence alors que nous étions un peu marginalisés», a dit Roland Castro. L'Atelier, en effet n'a toujours pas été officiellement inauguré alors qu'il devait l'être il y a plus de six mois. «On peut dire qu'on a été un peu ralentis», a noté Jean Nouvel. Qui a ajouté, filant la métaphore Formule 1: «On a bénéficié d'un départ lancé et maintenant la synthèse se fait».
Ce qui est sûr, c'est que le Grand Paris passe la surmultipliée.Ce que l'on a vu ce matin n'est pas une troisième proposition de tracé mais «un scénario, abordable, réalisable», a résumé Bertrand Lemoine, directeur général de l'AIGP.«Ce n'est pas un projet, plutôt une intention qui permet d'aller vers un système métropolitain.»
Ce scénario, a-t-il poursuivi, «correspond à une méthode de travail qui prend en compte tout ce qui est sur la table: le plan de mobilisation(de la région, ndlr), Eole, le grand huit, Arc Express, le maillage TGV... Il s'appuie sur trois principes: interconnecter, s'appuyer sur tout l'existant, desservir tout le territoire».
1- L'interconnexion, c'est le maillage fin de tous les modes, «y compris le réseau routier». Christian de Portzamparc a rappelé qu'en grande banlieue, on venait à la gare en voiture. Les parkings «doivent être des lieux où il y a énormément de services».
Pour optimiser le maillage, «il faut prendre en compte toutes les innovations technologiques qui existent dès aujourd'hui», a expliqué Bertrand Lemoine. Le temps d'attente du bus sur son smartphone relève déjà de ce genre d'approche.
2- S'appuyer sur l'existant. Les équipes évoquent évidemment les infrastructures ferroviaires déjà là (grande ceinture de fret, ligne sud du RER C, petite ceinture) mais aussi des emprises le long des axes routiers. Mais l'existant, c'est également «plein de projets déjà là, a dit Jean-Marie Duthilleul, qui sont très bien étudiés». Rien ne se perd, tout se récupère.
3-Desservir tous les territoires. Pour cela, le réseau organise un maillage à trois niveaux. Et le plan reprend évidemment la branche du métro Grand Paris qui passe à l’est par Clichy-Montfermeil.
La clé de voûte de tout cela, c'est le cadencement. Derrière ce terme, se cache une réalité que tout le monde connaît dans le métro: la régularité d'arrivée des rames et la fin des horaires. Jean-Marie Duthilleul raconte: «J'arrive, je monte dans le train, je ne me demande pas s'il dessert ma gare parce qu'il y va forcément.Cela marche comme le métro».
Le résultat est un «plan du grand métro, en 24 lignes», tel qu'on le voit sur cette carte (cliquez pour agrandir).
Un «RER bouclé et cadencé», a poursuivi Duthilleul, qui a détaillé:
- Le plus à l’est, la ligne jaune qui reprend le tracé du grand huit;
- Moins loin à l’est, la ligne grise qui réutilise la grande ceinture de fret;
- Au sud, celle qui boucle les terminus des métros;
- Plus au sud, la ligne verte qui passe par Saclay, avec un bus en site propre dont l’emprise pourra accueillir un tram-train;
- A l’ouest, le tracé passe le long de l’A86 entre La Défense et Saint-Denis.
En aérien ou en souterrain? «En aérien dès que c'est possible», répondent les architectes. D'abord parce que la réutilisatiion des voies existantes se fait forcément en surface. Mais aussi pour des raisons moins techniques. Duthilleul, encore: «Quand le métro aérien traverse la Seine, on a un petit flash d'émotion.Le long de la Seine entre la Défense et Saint-Denis, ce sera dix minutes de flash».
La philosophie générale de l'ensemble a été résumée par Mike Davies, de l'équipe Rogers: «C'est un tissage à toutes les échelles, à court terme et à long terme. C'est plus subtil et plus urbain que le grand huit, et plus large qu'Arc Express. C'est un grand MM: maillage métropolitain». Et par Duthilleul: «Il nous manquait une espèce de réseau commun, un système qui permette de parcourir ce territoire facilement».
La grande qualité de cette approche, c’est qu’elle reprend presque tout ce qu’il y a de bon dans les projets des acteurs en présence: SNCF, RATP, Société du Grand Paris, Région et Syndicat des transports d’Ile-de-France. Il y a à manger pour tout le monde, si l’on peut dire.
Mais c'est aussi sa grande faiblesse. Qui pour coordonner cette diversité ? «On a besoin d'une aide des politiques, d'une gouvernance de la mobilité», a dit Yves Lion. Et ils ont intérêt à être habiles car certains acteurs sont un peu ébranlés par cette approche.
En particulier, ceux qui en tenaient pour la double boucle élaborée par Christian Blanc, le grand huit. Bonne joueuse, la Société du Grand Paris vient de publier un communiqué dans lequel elle souligne que «les propositions des architectes rejoignent les ambitions du projet Métro Grand Paris». En particulier sur la desserte des aéroports, des pôles d'activité, sur la centralité des gares et sur le maillage.Son schéma est pourtant pas mal bousculé.Il n'est pas sûr que la RATP, qui porte le grand huit, prenne les choses avec autant de flegme.
La région, qui a la compétence des transports, ne s'est pas manifestée hier. Mais Jean-Paul Huchon avait présenté lundi un plan qui s'imbriquerait sans trop de difficulté avec celui des architectes. Il n'est pas dit toutefois que cela lui ait fait très plaisir d'entendre Roland Castro dire que tout cela «va se faire avec Paris Métropole».
Reste le gouvernement. Depuis deux semaines, l’Elysée a demandé au préfet de région de faire étudier les hypothèses des architectes plus techniquement par la direction régionale de l’Equipement.
Ce qui est sûr, c’est que la désignation du chef d’orchestre ne sera pas la partie la plus simple.