
C’est peu dire qu’à Paris, on voit arriver avec inquiétude le départ d’un homme pour lequel on ne tarit plus d’éloges. Une douce revanche pour celui qui a souvent été malmené et critiqué par Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy qui lui reprochaient sa rigidité et son obsession de l’inflation. Sa gestion de la crise des subprimes, en août 2007, lorsqu’il a ouvert en grand le robinet à liquidités afin d’éviter l’explosion du système bancaire, lui a même valu une critique virulente du chef de l’État français. S’indignant le 15 septembre 2007 que la BCE n’ait pas baissé ses taux, Sarkozy l’a accusé de faire « des facilités pour les spéculateurs » et de « compliquer la tâche pour les entrepreneurs », ne comprenant manifestement la nature de la crise qui débutait. Fin 2008, lorsqu’elle a touché de plein fouet le vieux continent, à la suite de la faillite de la banque d’affaires américaine Lehman Brothers, le Président a changé de ton après avoir trouvé un fort soutien à Francfort pour l’aider à sauver le système bancaire européen puis limiter les effets de la récession (baisse des taux, facilités illimitées accordées aux banques, etc.).
Si certains doutaient encore des capacités d’adaptation de Jean-Claude Trichet, la
crise de la dette souveraine leur en a fourni une illustration supplémentaire. Dans la nuit du 9 au 10 mai, pour sauver une zone euro au bord de l’explosion, le président de la BCE a convaincu le conseil des gouverneurs de jeter par-dessus bord l’un de ses dogmes et a obtenu de pouvoir racheter sur le marché secondaire, celui de la revente, les obligations d’États de la zone euro attaqués par les marchés afin de casser la spéculation et stabiliser les cours. Aujourd’hui, la BCE a acquis environ 80 milliards d’euros de dette et a dû augmenter son capital pour équilibrer son bilan. De même, quelques semaines plus tôt, la BCE avait décidé de ne plus tenir compte des notes des agences de notation pour accepter, en garantie des prêts accordés aux banques commerciales des obligations des pays de la zone euro.

Mais, à chaque fois, Trichet a trouvé sur son chemin Axel Weber et son compatriote Jürgen Stark, l’orthodoxe et très rigide économiste en chef de la BCE… Le président de la Buba n’a pas hésité, dès le 11 mai, à faire connaître publiquement son désaccord avec la décision de la BCE, rompant ainsi un principe pourtant imposé par l’Allemagne lors de la négociation du traité de Maastricht, celui du secret des délibérations. Désaccord depuis répété sans relâche, Weber allant même jusqu’à plaider pour le retrait des facilités de financement accordées aux banques et pour une augmentation des taux d’intérêt…
L’idée d’avoir un tel faucon à la tête de la BCE donne des sueurs froides non seulement à Paris, mais à tous les États du sud de l’Europe. Seuls les Pays-Bas, la Finlande et l’Autriche lui trouvent du charme. « La crise a montré qu’il fallait quelqu’un qui ait une expérience de terrain, un politique au sens noble du terme qui soit capable de s’adapter », dit-on à Paris. Si Weber avait été à la place de Trichet, nul doute que la gestion de la crise aurait été infiniment plus compliquée. On le compare à Helmut Schlesinger, un « professeur » sans expérience politique qui a fait toute sa carrière à la Buba, et dont l’extrême rigidité a failli emporter le franc lors de la grave crise monétaire de 92-93. « Un Allemand ultra-orthodoxe à Francfort, alors que la zone euro devient plus allemande que jamais, comme le montre la réforme du Pacte de stabilité ou la gestion des finances publiques, il ne faut pas exagérer », ajoute un diplomate de haut rang d’un pays du sud.

Certains gouvernements sont prêts à piocher en dehors du vivier des banquiers centraux. Après tout, la plupart ces derniers ont eu une vie avant, à l’image de Wim Duisenberg, le premier président de la BCE, qui fut ministre. Un politique n’est donc pas à exclure, qu’il soit Allemand ou non : pourquoi pas Didier Reynders, ministre des finances belge depuis 1999, qui connaît sur le bout des doigts sa partition monétaire et sera bientôt à la recherche d’un emploi ? L’hypothèse Dominique Strauss-Kahn, actuel patron du FMI, qui parle anglais et allemand, a même été évoquée, même s’il sera difficile de faire avaler qu’un Français succède à un Français. Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France et ancien vice-président de la BCE, est lui aussi pénalisé par sa nationalité.
La nomination du successeur de Trichet fera en tout cas partie d’un paquet, puisqu’une règle non écrite veut que les quatre grands pays de la zone euro soient toujours représentés parmi les six membres du directoire (la France vise aussi la présidence de la Banque européenne d’investissement). Autrement dit, il faudra qu’un Français soit rapidement nommé : le mandat de l’Autrichienne Gertrude Tumpel-Gugerell arrive certes à échéance le 31 mai, mais ce poste reviendra à un petit pays. Il faudra donc attendre 2012 pour qu’une place se libère…