Le streaking est un sport parasite qui consiste à profiter d’un match très attendu pour courir en tenue d’Eve devant le public et devant les caméras de télévision. Cette forme curieuse d’exhibitionnisme a les mêmes vertus qu’un éclat de rire. Elle met les désirs cachés à nu. Désir de célébrité? Pas seulement.
«Tout ce que je sais, c'est que j'ai détaché mon soutien-gorge et que j'ai couru pendant 40 secondes sur la piste. Le reste appartient désormais à l'histoire». Parce qu'elle en a de très gros, Erica Roe, 24 ans, devient en janvier 1982 la reine des streakers féminines: pendant un match de rugby (Angleterre-Australie), à Twickenham, elle affiche ses 100 D de tour de poitrine devant une foule en délire. Son apparition est classée 71ème parmi les 100 événement sportifs les plus marquants du siècle! «C'était fun, raconte-t-elle. Un policier a posé son casque sur ma poitrine pour protéger ma vertu, puis ils ont appelé mes parents qui venaient de me voir à la télévision». Renvoyée de son travail de libraire (ce jour-là, elle s'était portée pâle pour assister au match), Erica deviendra top-modèle puis fermière écolo au Portugal. Ses mamelles légendaires lancent la mode de l'exhibition pour rire.
Historiquement, le streaking a une portée révolutionnaire: en 1974, les étudiants américains manifestent pour la paix, à poil. «Faites l'amour, pas la guerre» proclament-ils avec, pour tout vêtement, des fleurs dans les cheveux. Certains affirment prendre exemple sur le philosophe Diogène qui voulait vivre nu comme les chiens et à qui la légende attribue les premières formes d'exhibitionnisme politique: il se masturbait en public, pour montrer que «la solution au problème du désir était, si je puis dire, à la portée de main de chacun« (Lacan). A la même époque, Platon (son rival) affirmait : «Il n'y a que les peuples barbares pour croire que la vue d'un homme nu est un spectacle honteux et affreux».
Les streakers ne sont pas perçus comme des pervers. A la différence des exhibitionnistes qui profitent des recoins d'immeubles ou des voitures garées pour surgir brusquement devant leurs victimes, les streakers n'essayent pas de faire peur, ni de choquer, ni de créer un traumatisme. Ils essayent seulement de faire sauter une inhibition et ils le font souvent sous l'empire de l'alcool, afin de se libérer. La foule qui les voit éclate d'ailleurs souvent de rire, comme si cette apparition incongrue matérialisait un désir non-dit, le désir collectif des corps libérés. Pourquoi aimons-nous le sport si ce n'est pour ce qu'il évoque de victoires sur soi, de corps rendus hyper-performants et de muscles en action?
La nudité est à ce point liée à l'idée de la libération que certains font remonter les origines du streaking à Madame Godgifu, plus connue sous le nom de Lady Godiva. C'est elle qui accomplit le premier exploit du genre. En l'an 1040, elle inaugure ce que l'on appelle en Allemagne le Nackerblitz («éclair de nudité»). Lady Godiva demande à son époux Léofric de Mercia d'alléger les impôts qui écrasent les habitants de Coventry. Il accepte à la condition qu'elle traverse la ville entièrement nue. Relevant le défi, elle monte sur un cheval seulement vêtue de sa longue chevelure. Pour sauver son honneur, elle demande cependant à tous les habitants de rester chez eux, volets fermés. Un seul désobéit, un tailleur plus tard appelé «Peeping Tom» (le père du peep show), qui la regarde subrepticement par l'entrebaillement d'une fenêtre et perd aussitôt la vue.
D'abord politisé, le streaking devient vite le moyen le plus simple d'accéder à la gloire, ou plutôt d'obtenir ces quinze minutes de célébrité dont parlait Andy Warhol… souvent réduites à quinze secondes. Pour toucher l'audience la plus large possible, ne serait-ce que le temps d'un clignement d'yeux, les streakers visent principalement les événements sportifs, retransmis en direct. Les matchs de tennis, par exemple: en 1996, à la finale de Wimbledon entre Krajicek et Washington, Melissa Johnson, une jolie blonde de 23 ans, devient la première streaker sur un court de tennis. Elle traverse le court, bras levés, doudounes et fesses à l'air, avant de se faire pudiquement recouvrir par quelques forces de l'ordre. Krajicek dit que cette vision l'a relaxé. Washington, lui, est furieux : «J'ai vu ses seins qui ballotaient et puis, elle m'a souri. Après ça m'a complètement troublé et j'ai perdu le match en trois sets».
Le streaking fait aussi des victimes au cricket depuis que Sheila Nicholls, en mai 1989, cabriole en tenue d'Eve devant 25 000 spectateurs. «C'était pendant le match Angleterre-Australie, raconte-t-elle. Quelqu'un a dit que ce serait cool s'il y avait un streaker et tout d'un coup j'ai été prise d'une envie irrésistible. J'ai attendu une mi-temps pour ne pas perturber le jeu et j'y suis allée». Sheila, 19 ans, se rue sur la piste et fait la roue sur la pelouse. Réaction immédiate : les joueurs australiens se précipitent pour… la féliciter. «Un gros arbitre m'a même dit «Bravo, ça c'est du sport !». Je me suis sentie heureuse». Quant aux journalistes sportifs, ils applaudissent à tout rompre. L'un d'entre eux fait même remarquer qu'une jolie fille déshabillée c'est plutôt «rafraichissant».
Aucun sport n'échappe aux streakers, pas même le billard. Le 11 février 1997, en Grande-Bretagne, Lianne Crofts commet le premier attentat aux mœurs contre un jeu de boules. Elle a 22 ans et trouve ce sport si ennuyeux que pour lui redonner du piquant, elle fait trois tours de piste vêtue en tout et pour tout de chaussures. Le champion du monde de billard, Steve Davis, se plaindra qu'il n'a vu que son dos. Les footballeurs, ont plus de chance : eux, au moins, ils voient tout, tout le temps. Car les stades sont les lieux préférés des streakers. Il ne se passe pas un mois sans qu'une étudiante ou une femme au foyer descende sur la pelouse pour montrer qu'elle en a (des seins). Une des plus connues s'appelle Vanessa Richards : en décembre 1997, pendant un match anglais entre Mboro et Newcastle, cette jolie blonde de 23 ans habillée en mère Noël va donner une forte émotion à son footballeur préféré, Paul Gascoigne, en lui dévoilant sa poitrine. Le jeu est interrompu pendant 5 minutes. Au procès, Vanessa explique : «Je voulais juste lui faire plaisir, et puis c'était pour le fun».
Pour l’amour du fun et du foot, de nombreuses streakers n’hésite pas à défier la loi. Elles montrent tout: le haut bien sûr, mais parfois aussi le bas… et toutes sortes de choses bizarres entre les deux : on voit ainsi passer une inconnue en string rayé noir et blanc (le 18 mai 1998, au Mile End stadium), une coiffeuse anglaise de 80 kgs (Le 21 juillet 2000, à Wembley), une naturiste bronzée en lunettes noires (le 5 aout 2001, au stade AZN de Brisbane, Australie), une Espagnole en pantalon (le 11 aout 2001, pendant un match amical contre Southempton), deux danseuses du ventre –une Française, une Italienne- entièrement peintes aux couleurs de leur pays (le 2 juillet 2000, pendant l’Euro) et une top-modèle ivre-morte en slip noir (le 30 mars 2002, au Palmerston Park). Entre 1980 et 1994, plus de 200 streakers ont été condamnés par la loi, pour outrage aux moeurs. Leurs amendes -entre 200 et 1000 euros– sont devenues très dures ces dernières années. Mais, elles n’empêchent pas les streakers de frapper, au contraire.
«Les streakers brisent des tabous et tirent leur plaisir de la transgression, explique Doris McIlwain, une Universitaire australienne. Renforcez la loi, vous renforcerez la transgression». Traduction: plus le danger est grand, plus les streakers sortent grandis de leur coup d'éclat. Sans compter que, parfois, elles en tirent du profit: en juillet 1996, la strip-teaseuse Tracey Collison se montre nue pendant un match de rugby pour gagner les 10 000$ offerts par une radio. Un coup de pub rentable. «Je me suis fait peindre le logo de la radio sur le corps et je suis descendue sur la piste, devant mes joueurs préférés pour qu'ils en aient plein les yeux. La foule a mis une demi-heure à se calmer». Tracey n'a pas gagné la prime, parce que son acte était illégal. Mais elle fut couronnée Miss Nude Rugby et Miss Erotica Australie avant d'apparaître dans les pages centrales de Hustler comme la playmate du mois de mars 1997. Au final, elle a donc gagné le double de ce qu'elle espérait. Maintenant, quand on lui demande ce que ça fait de courir nue en public, elle répond: «J'ai adoré ça! 40 000 personnes hurlaient à la mort en me regardant, c'était fantastique. Si je pouvais exciter une foule à nouveau comme ça, je le ferais».
QUE DIT LA LOI
Pour dissuader les streakers, la TV refuse maintenant de retransmettre leurs images. Il arrive donc régulièrement que pendant un match, les commentateurs se mettent soudain a dire des platitudes sur des images d'oiseau dans le ciel, alors que le stade hurle et trépigne. Munis de couvertures, certains agents de sécurité sont spécialement formés pour rhabiller les streakers. Ils le font avec plus ou moins de douceur, d'ailleurs. «Le public croit que c'est drôle, explique un responsable. Mais ce n'est pas drôle. Nous avons affaire à des bandits qui distraient les joueurs, mettent en danger le match et empêchent les spectateurs d'avoir le spectacle pour lequel ils ont payé». Depuis 1997, les amendes pour «invasion de terrain sportif» sont dures: en Australie elles sont passées de 100 à 5000 euros, avec interdiction d'assister à un match pendant un an. A ces amendes, se rajoutent celles pour «obscénité». Autant dire que la note est salée.