
En mars 2011, changement de décor : l’Allemagne désormais dirigée par Angela Merkel s’abstient, avec la Chine et la Russie, lors du vote de la résolution 1973 de l’ONU autorisant le recours à la force pour stopper les forces de Kadhafi… Ce qui lui vaut les vifs remerciements du dirigeant libyen, le soutien d’Hugo Chavez, l’autoritaire président Vénézuélien, et, en Allemagne, la bruyante approbation de Die Linke, la gauche radicale. « J’ai honte de me retrouver, en tant qu’Allemande, du côté de la Chine et de la Russie », m’a déclaré tout à l’heure la députée européenne écologiste Franziska Brantner. Un sentiment largement partagé par les médias allemands de tous bords, sidérés de voir leur pays abandonner ses alliés traditionnels, alors que la cause qu’il s’agit de défendre est pour le moins incontestable.
Angela Merkel, une nouvelle fois, gouverne en fonction d’impératifs de politique intérieure, sans aucune considération pour ses engagements européens et atlantistes, et surtout sans aucune commisération pour le peuple libyen qui lutte pour sa liberté. « Elle espère, en jouant sur le pacifisme allemand qui est fort, rééditer, par son opposition à la guerre, le coup de Gerhard Schröder et Joschka Fischer sur l’Irak, et gagner les élections régionales du Bade-Würtemberg qui s’annoncent périlleuses pour elle », analyse Daniel Cohn-Bendit, le co-président du groupe Vert au Parlement européen. « Elle espère aussi faire oublier sa position sur le nucléaire, après la catastrophe japonaise, car elle sait que l’opinion n’était pas favorable à la prolongation de la durée de vie des centrales de douze ans qu’elle a fait voter en septembre 2010 et qu’elle a suspendu lundi dernier ».

D’ailleurs, les groupes SPD et Vert au Bundestag viennent de décider de soutenir la résolution 1973, même s’il y a eu des débats houleux au sein des deux partis, toujours travaillés par de fortes convictions pacifistes. Voter ce texte n’impliquait pas, en effet, une quelconque obligation d’intervenir militairement. D’ailleurs, plusieurs pays européens, dont l’Autriche, la Hongrie ou la Bulgarie, soutiennent la communauté internationale tout en restant l’arme au pied. « Si je peux comprendre que le gouvernement allemand refuse une intervention militaire, je ne peux admettre qu’il n’ait pas voté la résolution et proposé d’autres mesures de rétorsion, comme l’embargo sur les armes », insiste ainsi Franziska Brantner. Cet accès de pacifisme est d’autant plus curieux que la chancelière n’a toujours pas annoncé qu’elle allait retirer ses troupes d’Afghanistan… Bref, entre l’abstention et le soutien à Kadhafi, il n’y a qu’un pas.

Et les dommages collatéraux risquent d’être importants : alors que l’Allemagne plaide pour une politique étrangère commune et une défense européenne, elle vient de démontrer qu’un tel choix serait, pour des pays comme la France ou la Grande-Bretagne, la paralysie assurée. Merkel a aussi enfoncé un coin, sur un sujet majeur, entre Berlin et Paris, Londres et Washington, excusez du peu. Est-ce que l’effet sera durable ? Sans doute pas : d’une part, la chancelière n’est pas éternelle et le SPD n’est absolument pas sur cette ligne ; d’autre part, les Européens ont trop besoin de l’Allemagne sur le plan économique. Mais Angela Merkel chercherait à administrer la preuve qu’elle n’a strictement aucun sens de l’histoire qu’elle ne s’y prendrait pas autrement.
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