Menu
Libération
Blog «Les 400 culs»

Une potion d'amour pour rendre plus fidèle?

Que ceux qui trouvent l’amour trop fugace, impalpable et fragile, se réjouissent: le professeur Larry J. Young, pape de l’ocytocine, propose qu’on utilise des hormones pour devenir plus accros (ce que certains traduisent «plus aimants»), et partant… plus fidèles. En théorie du moins. Chercheur à l’Emory University d’Atlanta, Larry J. Young s’est longtemps intéressé à la différence de comportements amoureux entre le campagnol des champs du Middle West, un rongeur plutôt monogame, et son cousin l
DR
publié le 21 mars 2011 à 15h33
(mis à jour le 21 janvier 2015 à 16h13)

Que ceux qui trouvent l’amour trop fugace, impalpable et fragile, se réjouissent: le professeur Larry J. Young, pape de l’ocytocine, propose qu’on utilise des hormones pour devenir plus accros (ce que certains traduisent «plus aimants»), et partant… plus fidèles. En théorie du moins.

Chercheur à l’Emory University d’Atlanta,

s’est longtemps intéressé à la différence de comportements amoureux entre le campagnol des champs du Middle West, un rongeur plutôt monogame, et son cousin le campagnol des montagnes, qui passe d’une femelle à l’autre sans jamais fixer son choix. Il semblerait, après examen, que le premier possède un taux d’

) très supérieur dans cette région du cerveau qui est associée à la dopamine (l’hormone du plaisir). Chez les humains, on peut activer cette région en faisant l’amour, en regardant des photos de personnes qu’on aime, en donnant le sein à son bébé, en s’embrassant etc.

Le campagnol des montagnes, lui, semble plus porté sur la vasopressine, une hormone impliquée dans l’agressivité, la défense du territoire et dans la mémoire. Que faut-il en conclure?

Il y a ceux qui, analysant nos coups de foudre et nos affinités électives en termes de dosages hormonaux et d’interactions neurobiologiques, aimeraient créer la potion d’amour. Bien qu’ils en soient encore très loin, de nombreux savants comme le professeur Young essayent de décrypter la naissance du sentiment amoureux qu’ils décrivent comme un «

enchaînement d’événements biochimiques qui produit des schémas neurologiques associés à des expériences subjectives

». Si l’on pouvait trouver la formule scientifique permettant de produire ces schémas de façon artificielle… Pourrait-on envisager de créer des potions nous rendant plus «disponibles» sur le plan émotionnel ou plus «en manque» sur le plan affectif?

Pour des raisons techniques mais également éthiques, il n’est pour le moment pas question de se pencher sur une telle éventualité.

sont d’ailleurs les premiers à souligner l’importance de l’expérience subjective dans le phénomène de cristallisation amoureuse. On ne créera jamais «une potion qui rend amoureux», disent-ils, car les humains ne tombent pas amoureux de n’importe qui, de façon aléatoire… L’attirance qu’on éprouve pour une personne plutôt qu’une autre s’enracine souvent dans un substrat de souvenirs bons et mauvais, de complexes à résoudre, de conflits intérieurs et de fantasmes. Nous sommes marqués comme au fer rouge par des émotions violentes datant de la petite enfance. Nous associons le plaisir à certaines odeurs, à certains grains de peau ou à des regards, des mots, des attitudes et des tons de voix, sans même en être conscients, irrésistiblement attirés par des personnes que nous trouvons belles alors qu’elles laissent indifférentes nos voisin(e)s.

Pourquoi Descartes était-il toujours attiré par les femmes ayant «une coquetterie dans l’oeil» (un strabisme), au point de tomber fou amoureux des pires mégères pourvu qu’elles louchent un peu? Pourquoi Rousseau fantasmait-il sur ces dames de la haute société qu’il servait comme domestique? Les effets d’attraction et les «penchants bizarres» qui dominent nos vies s’enracinent bien souvent  dans des expériences qu’aucune hormone ne pourra jamais synthétiser. Dans son

(section CXXXVI), Descartes décrit «

d’où viennent effets de la passion qui sont particulières à certains hommes

», avec quatre siècles d’avance sur la psychanalyse: l’inconscient n’est pas loin. «

Il y a une telle liaison entre notre âme et notre corps que lorsque nous avons une fois joint quelque action corporelle avec quelque pensée, l’une des deux ne se présente pas à nous que l’autre ne s’y présente aussi… Il est aisé de penser que les étranges aversions de quelques-uns qui les empêchent de souffrir l’odeur des roses ou la présence d’un chat, ne viennent de ce qu’au commencement de leur vie ils ont été offensés par quelques pareils objets

».

Les souvenirs ont beau avoir été oubliés, il suffit parfois de croiser une personne pour qu’elle déclenche en vous une curieuse sympathie. Votre corps se met à produire une hormone de l’attirance. Vous avez réactivé un mécanisme et —pour peu que la personne corresponde (ou non) à vos attentes— vous pouvez vous laisser entraîner (ou non) par le processus. Une fois le processus engagé, reste la question: pour combien de temps? Combien de temps encore mon corps va-t-il produire ces bouffées de chaleur, ces sensations de manque, ces symptômes d’accoutumance (si proches de la toxicomanie) à quoi on reconnaît l’amour? Est-il imaginable qu’on puisse faire appel à des substituts hormonaux pour compenser les baisses de “sentiments”?

Cela fait quelques années que les savants essayent de mettre au point de tels produits. Et c'est là peut-être que les travaux du professeur Young pourraient trouver des débouchés rentables: imaginez que l'on vende en pharmacie l'équivalent d'une boisson énergisante visant à nous rendre plus amoureux dans les petits moments de déprime conjugale... Dans un article publié hier par Le Matin, la journaliste Chantal Savioz annonce : «Il existe déjà en vente aux Etats-Unis des petits flacons appelés LiquidTrust (liquide de la confiance). Les marchands de rêve ou de fidélité conjugale sont-ils en train de prendre de vitesse les scientifiques ?». En 2009, la presse s'était déjà émue à la perspective de la mise sur le marché d'une "pilule du désir pour la femme", la Flibansérine. Il s'agissait —si j'ai bien compris— de testostérone. L'hormone mâle rend les femmes très chaudes, apparemment. Beaucoup de transboys peuvent en témoigner. Reste à savoir s'il est désirable qu'on rebooste notre libido à coups de sprays, de pilules ou d'injections.

Certaines personnes, comme la philosophe Beatriz Preciado répondent: «Et pourquoi pas ? Toutes les femmes, ou presque, en France sont déjà sous hormones sans que nul n'y trouve à redire.» On leur délivre sur ordonnance des oestrogènes dont l'influence reste bizarrement très sous-estimée : gros seins, hanches fines… Le corps des femmes a changé d'une façon si marquante qu'on ne peut plus imaginer maintenant qu'une femme ne soit pas «naturellement» un être au corps extrêmement distinct de celui des hommes. Il y a quelques générations, les différences physiques étaient beaucoup moins marquées. Et, détail révélateur, les débats sur la différence homme-femme étaient également beaucoup moins virulents. Si maintenant, on se mettait à vendre de la testostérone pour les filles, afin qu'elles deviennent plus agressives sexuellement, cela remettrait peut-être les sexes à égalité ? C'est ce que suggère Beatriz Preciado dans son livre Testo Junkie, qui affirme s'être «volontairement intoxiquée à la testostérone» afin de participer, à sa manière dissidente, à l'énorme machine du «capitalisme pharmaco-pornographique». «Je ne prends pas la testostérone pour me transformer en homme, dit-elle, mais pour trahir ce que la société a voulu faire de moi». Son livre a le mérite de poser des questions, d'ouvrir des perspectives perturbantes sur ce qui nous attend. Il vaut mieux anticiper.

Les lobbies pharmaceutiques nous préparent toutes sortes de réjouissantes potions magiques. Pour avoir plus d'envies sexuelles, pour être plus fidèle, pour devenir plus agressifs… On sait déjà que l'armée en utilise pour renforcer "l'esprit guerrier" ou pour rendre insensible à la douleur. Ceux qui travaillent actuellement sur l'autisme, mettent au point des médicaments aux effets secondaires quasi-aphrodisiaques qui pourraient fort bien être détournés de leur usage purement thérapeutique. La chimie de la séduction et de la manipulation affective est en route.

«Pourquoi est-ce que les gens sont infidèles ?». La réponse, en vidéo, sur la NHK. «Essayez l’ocytocine pour empêcher l’infidélité», un article de Rita Watson.
Illustration, pour le plaisiiiiiir : Fury 161, un de mes illustrateurs préférés.