Dans la nature, il n'y a pas que deux sexes. Mais notre société s'est construite sur une division homme-femme, binaire et normative que certains transgenres, paradoxalement, reprennent à leur compte, comme s'il fallait —pour changer de sexe— devenir une caricature d'homme ou de femme. Le journal intime d'un trans, projeté mardi 29 mars au Festival des Films de Femmes de Créteil est, à cet égard, révélateur.
Au début, Simona n'est qu'un garçon manqué, comme il en existe des millions. Simona évite de fréquenter les filles qu'elle trouve stupides (mais dont elle tombe amoureuse). Simona fait des sports de garçons. Simona réclame partout qu'on l'appelle Simon. Simona est mal dans sa peau. Simona fait une tentative de suicide. Simona découvre le milieu homosexuel puis une associations de trans. Simona parvient à se faire inscrire comme «souffrant de dysphorie de genre» afin de suivre un traitement médical qui commence par l'injection de testostérone dans les fesses. Après quoi, Simona rebaptisée Simoné (Simon) se fait enlever les seins, peut-être aussi se fait-il refaire les organes génitaux, on ne sait pas très bien.
Son documentaire auto-biographique de 28 minutes («Simon, de la tête aux pieds») reste extrêmement flou et surtout profondément inabouti, marqué par la dépression, la frustration, les amours ratées, et surtout le dégoût du corps. Dès les premières images du film, on a le nez dans les culottes tâchées de sang menstruel de Simona. Et on entend la voix de sa mère qui gémit: «Avec une voix plus forte, plus comme celle d'un homme, tu te sentirais mieux?». Simon/Simona proteste: «La question, ce n'est pas que je vais avoir une voix plus rauque maman. La question, c'est que je me sens mal, je ne me sens pas en adéquation avec ce corps de fille». «Mais mon dieu, c'est la façon dont tu es née, c'est comme cela que tu es», proteste la mère, stupide, pathétique, qui refuse d'entendre ce que sa fille essaie de lui dire: «Je ne suis pas bien comme je suis maman». Dialogue de sourdes, autour de serviettes hygiéniques sanguinolantes… Le reste du documentaire est tout aussi sombre.
Diffusé le 29 mars, à 14h, dans le cadre du Festival des Films de Femmes de Créteil, ce «récit d'une transition de femme à homme» reflète de façon extrêmement révélatrice le gros problème de la transsexualité à l'heure actuelle: on en fait une maladie. Beaucoup de trans, suivant l'exemple de Simone Cangelosi, ne présentent leur désir de métamorphose que sous un angle pathologique. Ils énumèrent leurs échecs affectifs et scolaires et font de leur impuissance à être heureux le moteur d'une vie qui devient rapidement celle de patients «sous traitement», rythmée par les rendez-vous chez les endocrinologues, les chirurgiens et les psychologues. Des victimes, les trans? Oui, tant qu'ils (elles) se contenteront avec complaisance d'affirmer qu'ils (elles) ne s'aiment pas. On est exactement à l'inverse d'une démarche de fierté. Pour quelle raison Simona/Simon a-t-elle décidé d'entamer sa transition? Parce qu'elle/il n'aime pas son corps de fille. De ce corps, on ne verra presque rien d'ailleurs. On ne verra que des seins aplatis comme des gants de toilette, sous l'effet, probablement, du traitement hormonal. Tristes morceaux de chair inutiles.
Ils sont encore beaucoup de transgenres à considérer ainsi leur corps: en ennemi ; et leurs organes génitaux: en importuns. Certains trans se montrent, de ce point de vue, parfois plus rétrogrades que les puritains ou les psychiatres qui en font des malades mentaux. A les entendre, les femmes ne sont que des trous… raison pour laquelle certains pensent qu’il est nécessaire, absolument nécessaire, de se faire faire un néo-vagin (on ne peut pas être une femme si on n’a pas son trou). Quant aux hommes, bien sûr, ils ont des poils et un très gros muscle, raison pour laquelle il leur semble si naturel de se conduire en petits machos… On attendrait plutôt d’eux/elles une remise en cause de la dualité binaire mâle-femelle. Mais non. Au lieu de clamer (puisqu’ils/elles en sont la preuve évidente) : «
[ Dans la nature on ne rencontre pas que deux sexes ]
» (1), les transgenres sont parfois les premiers à tomber dans le discours de leurs propres détracteurs: ils reproduisent en l’accentuant une vision très conformiste de la différence homme-femme.
Certains poussent la caricature jusqu’à se montrer sexistes, parlant des «hommes bios» comme d’ignobles brutes guidées par leurs seuls appétits et des femmes qu’ils souhaitent devenir comme de douces créatures pleines d’amour. Voilà qui ne va pas vraiment dans le sens du féminisme… C’est tout le paradoxe de la transsexualité qui repose sur une définition parfois réductrice de l’identité sexuelle.
Ce qui nous amène à la problématique, toujours la même: qu'est-ce qu'un homme? Qu'est-ce qu'une femme? Un dosage d'hormones? Une question de chromosomes? Si vous le croyez, il existe une expression pour désigner votre conception de la différence homme-femme: l'essentialisme biologique. «L'essentialisme biologique est un déterminisme qui fixe les hommes et les femmes dans des caractères immuables; les hommes et les femmes, par leur «nature» différente, auraient des caractéristiques bien définies, inaliénables et a-temporelles. Ces idées s'opposent en général aux conclusions scientifiques et sont de l'ordre de la croyance.»
Sur le site Féministes.net, un long dossier consacré à l'essentialisme s'en prend avec une attention toute particulière à la question des hormones. «Une croyance, communément répandue, dit que les hormones, et la testostérone en particulier, organisent le comportement et conditionnent nos attitudes.» Ainsi, les hommes de façon «normale et innée» seraient plus agressifs que les femmes en raison de leurs hormones. Cela reste toujours à prouver. «Bien qu'il y ait une corrélation entre la testostérone et le comportement, ce fonctionnement n'est pas très clair. Beaucoup d'hormones, en fait, sont impliquées dans l'agressivité comme l'hormone adrénocorticotropique, la prolactine, l'oestrogène, la progestérone, l'adrénaline et la testostérone. (…) En étudiant les rats et les souris, on a constaté que les mâles initient le combat mais qu'un rat castré ne le fera pas, même si on lui injecte de la testostérone; on ne peut donc affirmer que l'agressivité des rats et des souris est guidée par la présence ou l'absence de la testostérone. Comme il est entendu que les humains se comportent de manière beaucoup plus complexe que des rats, on a étudié diverses espèces de singes.
On a ainsi injecté des hormones chez les singes femelles talapoin afin qu'elles aient toutes le même taux. Mais la femelle dominante s'est exclusivement intéressée au mâle alpha, et celui-ci a fait de même. Chez beaucoup d'espèces de singes, les rapports de domination continuent avant et après castration. Quels que soient les effets des hormones sexuelles, ils sont considérablement réduits chez les espèces ayant une organisation sociale. Plus l'espèce a une organisation sociale évoluée, plus les variables de situation sont importantes. Chez les groupes avec une structure sociale de dominance, le mâle le plus aguerri combat rarement. Ceux qui gagnent au combat voient leur taux de testostérone grimper alors que les perdants voient le leur baisser; ainsi les taux d'hormones deviennent le résultat plutôt que la cause du combat.»
De la même manière, les études réalisées sur les taux de testostérone des criminels ne sont absolument pas concluants: il n'ont pas de taux plus élevé, sauf lorsque leur mode de vie (ou le fait d'être en prison) les confronte à un stress. Par ailleurs, «lorsqu'on emploie des drogues afin de réduire le taux de testostérone, le taux de récidive ne diminue pas de façon significative». Le fait que la testostérone fasse augmenter ce que Zemmour appellerait «l'agressivité sexuelle» n'est pas non plus établi. Les hommes ne sont pas forcément des prédateurs sexuels pour des raisons hormonales… La preuve: les doses de testostérone données aux femmes souffrant de «baisse de désir» ont autant d'effet que… les placebos (2)! Leur libido augmente aussi bien avec des hormones qu'avec de l'eau de source. Alors, être femme-femme (homme-macho), c'est dans la tête, docteur?
Mardi 29 mars, 14h, Petite salle / MAISON DES ARTS DE CRÉTEIL
«Dalla testa ai piedi Simone Cangelosi» (Simon Cangelosi, de la tête aux pieds). Réalisation : Simone Cangelosi
Documentaire de 28mn, Italie, 2007.
Le récit de la transition de femme à homme du réalisateur. Journal intime de sa transformation physique et psychologique, de la fin des années 90 à 2005.
(1) Ilana Löwy, historienne des sciences: «dans notre société, le sexe (celui, par exemple, de l'état civil) est construit sur un mode strictement binaire», alors que la nature, elle, «est peu encline aux divisions binaires». L'intersexualité est une réalité biologique dont notre société refuse encore d'admettre l'existence, puisqu'elle traite les trans comme des personnes «atteintes de troubles de l'identité». Pour remettre les choses au point, il faut lire le rapport de Bénédicte Radal : «Hommes et femmes transsexuel(le)s en France. Entre normalisation et subversion».
(2) «La testostérone améliore légèrement la satisfaction sexuelle chez les femmes non ménopausées ayant une faible libido mais un placebo (produit inactif) en fait tout autant, selon une récente étude publiée dans les Annals of Internal Medicine.» Psychomedia, avril 2008.
Peut-on attribuer les différences homme-femme à la structure du cerveau?(est-ce que j'ai une gueule d'hémisphère)