Le feuilleton de l'île Seguin, riche en rebondissements depuis la fermeture de l'usine mère de Renault à Boulogne-Billancourt, se poursuit. Et le dernier épisode en date promet d'être encore plus désolant que les précédents.
Pierre-Christophe Baguet, l’actuel maire (UMP) de Boulogne (Hauts-de-Seine), avait, dès sa victoire en 2008, bloqué tous les projets que son prédécesseur à la mairie, Jean-Pierre Fourcade, avait engagés, l’accusant de bétonner l’île Seguin. Résultat: plus aucune recette n’est entrée dans les caisses de la société d’économie mixte SAEM Val-de-Seine aménagement qui pilote l’urbanisation des anciens terrains Renault. Depuis trois ans, Baguet ne construit pas sur l’île Seguin, mais il y creuse un trou.
Jeudi, c’est donc avec l’impératif de rétablir les comptes qu’il présentera au vote de son conseil municipal une modification du Plan local d’urbanisme, prévoyant la construction de 335 000 mètres carrés sur ce haricot de 11 hectares. Pour atteindre ce chiffre, le projet dessiné par l’architecte Jean Nouvel, comporte cinq tours de bureaux. Elles devaient initialement grimper jusqu’à 150 mètres, soit une quarantaine d’étages, et ont été rabotées en vue du conseil municipal à 120 mètres pour la plus haute et 100 mètres pour les quatre autres.
Le PLU en vigueur, voté sous le mandat de Jean-Pierre Fourcade, autorisait déjà 175000 mètres carrés à bâtir, ce qui n'était pas négligeable. Et c'est d'ailleurs sur la «dédensification de la ville» que Baguet était parti en campagne lors des municipales. Son colistier de l'époque, Thierry Solère, rappelle qu'ils avaient promis à l'époque aux Boulonnais de limiter les constructions à 110 000 mètres carrés.
Aussi, dans l'enthousiasme de la victoire, Pierre-Christophe Baguet, arrête-t-il tous les coups déjà partis sur l'île Seguin. Il renvoie dans leurs foyers les investisseurs sur le point de signer (comme l'American university of Paris) ou carrément engagés, comme Cogedim, pour le projet d'hôtel quatre étoiles, .Commettant là «une erreur historique», estime Thierry Solère.
Premier adjoint au maire, Solère a démissionné de ses fonctions à la mi-mai. Il raconte les événements sans prendre trop de gants: «Quand nous sommes arrivés à la mairie, Pierre-Christophe Baguet voulait absolument dédensifier. Je lui ai dit: »Fais attention, parce que Fourcade, il sait compter«. Baguet apparemment un peu moins. Fin 2008, il congédie les investisseurs,alors que »la crise vient de se déclencher, poursuit Solère. Ces gens étaient bien contents de sortir des engagements qu'ils avaient pris. Le maire a annulé les recettes«.
Depuis? »C'est panique à bord«, dit l'ancien allié. Pour pouvoir présenter un projet chargé en mètres carrés, et en revenus potentiels, le maire »n'avait qu'un moyen: s'abriter derrière une grande signature de l'architecture, sans cahier des charges«.
Malheureusement, la grande signature n'est pas magique. Jean-Louis Subileau, urbaniste qui dirigea la SAEM Val-de-Seine avant d'être remercié par Pierre-Chritophe Baguet, constate avec dépit que, »depuis trois ans, ils n'ont trouvé aucun preneur. Jean Nouvel prétend faire le travail seul mais comme il ne négocie pas, il n'y a pas l'ombre d'une commercialisation«.
Thierry Solère, qui est par ailleurs vice-président du conseil général des Hauts-de-Seine en charge du développement économique, enfonce ce clou-là aussi: »On présente ce projet au moment du plan de renouveau de La Défense, qui n'est déjà pas facile. De toute façon, il n'y a pas de marché pour cinq tours de bureaux sur l'île Seguin«. L'éloignement de tout transport collectif (un quart d'heure à pied) ne facilite pas la vente.
La modification du PLU a toutes les chances d'être votée, malgré la défection de Thierry Solère, qui ne pourra guère emmener dans sa révolte des troupes nombreuses. Les riverains eux, entendent bien se battre et les recours risquent de pleuvoir. L'association des riverains de l'île Seguin, entre autres, crie au »projet mégalomaniaque et délirant«. Le climat juridique ne s'annonce guère encourageant pour les investisseurs. Et de fait, toutes les annonces de salle de musique, d'arrivée du Cirque du Soleil, de déménagement de la fondation Cartier, sont encore au conditionnel.
Mais le plus navrant dans cette histoire, c'est le mépris du site dont fait preuve Jean Nouvel. Membre de l'Atelier international du Grand Paris, on l'attendrait un peu plus sensible au génie du lieu qu'on trouve dans cette boucle de la Seine, et à son histoire. Lorsque la démolition de l'usine Renault avait été actée, Jean Nouvel avait écrit en 1999 une tribune accusatoire titrée »Boulogne assassine Billancourt«. Aujourd'hui, il déclare à l'AFP vouloir »éviter que cela ne devienne un morceau de banlieue quelconque«. Mais il dessine une opération de bureau ordinaire.
Pour terminer, on peut se demander pourquoi tous les acteurs qui gravitent depuis trois ans autour du Grand Paris, -Etat, élus, architectes, penseurs -, ne se sentent pas concernés par l’avenir de point-clé de la métropole.Sur ce gâchis, on n’entend personne.