
Un autre développement de mon interlocuteur était particulièrement intéressant. « Il est remarquable de constater que tous les pays qui ont des problèmes sont ceux qui ont bénéficié de la politique de cohésion », c’est-à-dire des aides régionales européennes destinées aux pays et aux régions les plus pauvres. « La façon dont on a géré ces fonds a conduit à la création de bulle : au lieu d’en contrôler l’utilisation jusqu’au bout et de l’adapter aux problèmes structurels de chaque pays, on les a laissés faire ce qu’ils en voulaient ». Pour rappel, la Grèce, l’Irlande, le Portugal ou encore l’Espagne ont reçu pendant près de trente ans l’équivalant de 2 à 4 % de leur PIB par an. « Je me rappelle d’un chiffre qui m’avait effrayé en 2006 et j’en avais parlé à la chancelière allemande : l’Espagne consommait plus de béton que l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne réunies… » Ce qui aurait dû servir d’alerte. « On aurait dû conditionner le versement des aides européennes » : par exemple en s’assurant que l’Irlande n’allait pas s’en servir pour bâtir une fiscalité dérogatoire afin d’attirer les entreprises, mais plutôt pour bâtir les infrastructures qui lui manquent. Ou encore, il aurait fallu aider la Grèce a bâtir un État et non la laisser gaspiller l’argent en soutient à la consommation et en embauche de fonctionnaires. En clair, il aurait fallu violer la souveraineté des États, ce qu’ils n’étaient pas prêts à accepter à l’époque. Voilà qui devrait inciter l’Union à ne pas répéter les mêmes erreurs avec l’Europe de l’Est…
Cette spécificité grecque, comme je l’ai déjà expliqué ici, commence à être perçue par les partenaires d’Athènes : ainsi, les aides régionales seront désormais gérées sur place par un organisme européen (présidé par un Allemand) et indépendant. Comme l’avait déjà annoncé avant l’été Jean-Claude Juncker, le premier ministre luxembourgeois et président de l’Eurogroupe, la Grèce doit se préparer à vivre pour quelque temps avec une « souveraineté limitée » si elle veut se sortir d’affaire. L’Union vient d’ailleurs de lui rappeler que son sort ne tient qu’à un fil en abrégeant hier une mission de contrôle. Evangélos Vénizélos, le ministre des Finances, a dû se résoudre a annoncer ce soir que la Grèce allait enfin mettre en œuvre le programme de privatisation auquel elle s’est engagée à plusieurs reprises, sans effet jusque-là, programme qui ne dépendra pas du gouvernement, mais d’un organisme indépendant, et engager la réduction de la taille du secteur public, notamment en fusionnant plusieurs centaines d’organismes parapublics aussi pléthoriques qu’inutiles.
Photo: Reuters