
Ainsi, Ursula von der Leyen, la ministre des Affaires sociales et vice-présidente de la CDU, dans un entretien à l’hebdomadaire Der Spiegel fin août a plaidé en faveur des « États-Unis d’Europe », rien de moins : « cela signifie que les États et les régions gardent beaucoup de prérogatives pour les questions concrètes, mais, pour les questions importantes comme la politique budgétaire, la fiscalité ou l’économie, nous utilisons le grand avantage que représente l’Europe. Ce sera un long chemin, mais nous pouvons y arriver. Ma vision est une Europe comme point d’ancrage pour le pluralisme, la démocratie, l’État de droit et des convictions sociales communes dans une compétition mondiale ». « Il est tout à fait révélateur que von der Leyen, qui ne s’était jamais prononcée sur les questions européennes et qui a l’ambition de succéder à Merkel ait estimé que le fédéralisme européen était un thème porteur », poursuit Thomas Klau.
Von der Leyen a immédiatement reçu le soutien de l’ancien chancelier social-démocrate Gerhard Schröder, toujours dans le Spiegel : « Mme von der Leyen a tout à fait raison ». Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances du gouvernement Merkel, sans aller jusqu’à plaider pour les États-Unis d’Europe, s’est rallié « à titre personnel », fin août, à l’idée de Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne, de créer un « ministre des finances européen » et a estimé qu’il faudrait modifier les traités européens afin de donner plus de pouvoirs aux institutions européennes dans les domaines économiques et financiers. Dans une tribune publiée par le Financial Times, début septembre, il a estimé que la politique budgétaire devrait devenir plus centralisée à condition que la démocratie européenne soit renforcée. Même le patron de la Bundesbank, Jens Weidmann a plaidé, le 1er septembre pour « une vraie union budgétaire et un abandon de souveraineté dans le domaine des politiques budgétaires nationales ». Angela Merkel avait déjà amorcé une évolution en affirmant en mars dernier qu’elle « pousserait vers des changements nécessaires du traité pour mieux faire face à de futures crises financières plut tôt et plus efficacement quand les choses vont mal (…) L’Europe doit tirer les bonnes leçons pour le futur. Nous avons vu que les instruments de la zone euro sont, tels qu’ils existent actuellement, insuffisants ».

Mercredi, l’arrêt du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe sur la légalité de l’aide à la Grèce est venu conforter les pro-européens. Car les juges, pour la plupart des souverainistes convaincus, n’ont pas osé la juger inconstitutionnelle, eux qui avait fait du « no bail out » (pas de sauvetage), dans un précédent arrêt de juin 2009 sur le traité de Lisbonne, une ligne rouge à ne pas franchir. Or, aujourd’hui, il est clair qu’il s’agit de sauver la Grèce et sans doute de prendre en charge, en tout ou en partie, l’endettement du pays. Les juges constitutionnels ne sont pas prêts, et c’est compréhensible, à faire exploser en plein vol la construction communautaire : personne ne leur pardonnerait de prendre une telle responsabilité. Certes, ils ont exigé que chaque plan d’aide soit approuvé par la commission des finances du Bundestag (et non par la plénière) tant que le système demeure « intergouvernemental », ce qui est le cas du Fonds européen de stabilité financière (FESF) qui n’est pas une institution communautaire et ne peut être activée qu’à l’unanimité des gouvernements. Autrement dit, dans un système fédéral où la démocratie est assurée (notamment par un contrôle du Parlement européen), un accord des parlements nationaux ne sera plus nécessaire… Les juges instaurent des limites afin d’éviter une dérive non démocratique de l’Union. Gerhard Schröder estime logiquement, menant à son terme l’appel de von der Leyen, que « nous devons avoir comme perspective de transformer la Commission en gouvernement qui serait contrôlé par le Parlement européen. Cela s’appelle les États-Unis d’Europe ».

Ce revirement allemand ne peut que causer de l’embarras en France, notamment à l’Élysée, où l’on n’a pas compris ce qu’impliquait le fédéralisme. L’Allemagne n’acceptera jamais une Europe intergouvernementale dans le domaine économique et budgétaire qui aboutirait à ce que son Parlement soit dessaisi au profit de l’Eurogroupe, l’enceinte qui réunit les ministres des Finances de la zone euro, ou du Conseil européen de l’Eurozone. Car cela viderait la démocratie de son sens, l’Europe étant alors gouvernée sans aucun contrôle parlementaire. Paris, qui demeure allergique au Parlement européen, seule instance qui pourrait jouer ce rôle, va devoir faire un choix rapide et ne pas répéter l’erreur de 1994, lorsque Wolfgang Schäuble et Karl Lamers lui avaient proposé (le Premier ministre était alors Édouard Balladur) la création d’une fédération européenne limitée à quelques pays, une proposition restée alors sans réponse. Si la France veut vraiment sauver l’Europe, il faudra qu’elle accepte une Europe communautaire et pas seulement intergouvernementale. Une seconde inconnue est l’attitude grecque : si la Grèce continue à se moquer du monde, les citoyens allemands pourraient se lasser de verser leur argent dans un puits sans fond.
Photos: Reuters