
Les 8 milliards d’euros, représentant la sixième tranche de l’aide de 110 milliards décidée en mai 2010 (à distinguer du second plan de 160 milliards décidé le 21 juillet dernier), ne seront en effet pas versés en septembre : « nous prendrons notre décision sur la prochaine tranche d’aide en octobre en nous fondant sur les déclarations de la troïka » (Commission, banque centrale européenne et Fonds monétaire international), a menacé Jean-Claude Juncker, le président de l’Eurogroupe et premier ministre luxembourgeois. « La balle est dans le camp de la Grèce », a ajouté le commissaire aux affaires économiques et financières, Olli Rehn. Le chemin parcouru par les Européens est immense, eux qui ont toujours écarté une faillite de l’État hellène.
De fait, une partie de la droite européenne, qui est pouvoir dans 14 des 17 pays de la zone euro, considère désormais qu’il vaut mieux laisser purement et simplement tomber la Grèce plutôt que de déverser de l’argent dans un puits sans fond. Ainsi, le petit parti néolibéral slovaque, le SaS, membre de la coalition au pouvoir, a annoncé en fin de semaine dernière qu’il ne voterait pas le second plan d’aide à la Grèce, ce qui prive le gouvernement de majorité au Parlement : « On doit laisser la Grèce aller à la faillite. Certes, les banques subiront des pertes, mais je ne comprends pas pourquoi les contribuables devraient supporter ces pertes », a estimé son président, Richard Sulik. La Slovaquie, un pays plus pauvre que la Grèce, a déjà refusé de participer au premier plan de sauvetage.
En Allemagne, la CSU, la branche bavaroise de la CDU, le parti de la chancelière allemande Angela Merkel, tout comme les libéraux du FDP, membre de la coalition gouvernementale, sont sur la même longueur d’onde. Hier, le vice-chancelier autrichien et ministre des Affaires étrangères, le conservateur Michael Spindelegger, a, lui aussi, envisagé « une faillite de la Grèce » tout en précisant qu’il « fallait avoir à l’esprit ce qu’un tel scénario signifierait pour d’autres pays en difficulté ». Maria Fekter, la ministre conservatrice des finances autrichienne, a envisagé à Wroclaw une telle faillite si « un sauvetage » se révélait « trop onéreux ». Une position qui est aussi celle des Pays-Bas qui vont jusqu’à imaginer une exclusion d’Athènes de la zone euro… Des plaidoyers qui commencent à porter.
Ainsi, les opinions publiques sont lasses de payer pour un pays qui ne semble pas faire d’efforts, alors que la situation économique se détériore. Le revirement le plus spectaculaire a eu lieu en France si l’on en croit un sondage Ifop réalisé pour Dimanche Ouest-France et publié hier : alors qu’en décembre 2010, 69 % des Français étaient favorables à l’aide à la Grèce, ils seraient désormais 68 % à y être opposé, 87 % pensant même que l’aide ne sera jamais remboursée. 90 % des électeurs du Front National y sont hostiles, mais aussi 70 % des électeurs de droite et 58 % des électeurs de gauche. Il faut dire que le gouvernement n’a jamais clairement expliqué l’engagement de la France et ce qui était en jeu : ainsi, le débat à l’Assemblée nationale sur le second plan d’aide qui a eu lieu début septembre a été expédié en moins d’une heure…

Une faillite de la Grèce ferait entrer la zone euro dans un territoire inconnu, d’où la colère de Jacques Delors, l’ancien président de la Commission et père de l’euro, au lendemain de la réunion de Wroclaw : alors que les ministres des Finances sont « dans un paquebot au milieu d’une tempête », ils « ont discuté avec des petits calculs (…) C’est une honte ». « Je porte le deuil aujourd’hui et je suis indigné » : les ministres « ont porté un coup terrible à tous ceux qui, depuis 1948, s’attachent à avoir une vision d’une Europe en paix et d’une Europe prospère », a-t-il ajouté.
N.B.: article paru ce matin dans Libération
Photos: Reuters