
Horst Reichenbach, qui a été durant six ans vice-président de la BERD à Londres (Banque européenne de reconstruction et de développement) et a effectué la plus grande partie de sa carrière à la Commission, explique sa mission pour « les coulisses de Bruxelles ».

Il aurait fallu une demande pour que nous puissions intervenir plus tôt, car la Grèce est un pays souverain comme tous les autres pays de l’Union. La crise de la dette publique a changé la donne : aujourd’hui, cette demande existe, car la Grèce constate elle-même qu’elle a beaucoup de difficultés à mettre en œuvre les réformes adoptées, alors qu’elles sont absolument nécessaires pour lui permettre de renouer avec la croissance. Il y a désormais une vraie volonté politique de changement : c’est Georges Papandréou, le premier ministre grec, qui a demandé au président de la Commission de le soutenir en ce moment crucial.
Ne craignez-vous pas que les citoyens grecs rejettent ce qui s’apparente à une tutelle européenne ?
Le gouvernement a bien compris la tâche de cette « task force » : nous allons apporter une aide technique, pas gérer le pays. J’ai aussi rencontré l’opposition : elle est plus critique, mais elle reconnait la nécessité d’agir. Dans les médias et la population, il y a une majorité qui est en faveur d’un soutien européen pour procéder aux réformes, la Grèce seule n’ayant pas les moyens d’y parvenir. Alors, bien sûr, il y a les extrêmes de l’échiquier politique qui agitent le spectre du passé. Comme je suis Allemand, on dit que je suis le nouvel Othon 1er, ce prince bavarois que les grandes puissances « protectrices » de l’époque ont imposé à la Grèce en 1832. Et certains jouent avec les cinq premières lettres de mon nom, « Reich »…
Quel sera votre rôle ?
Notre action comportera deux piliers. D’abord, nous allons accélérer l’absorption des fonds structurels en trouvant de bons projets qui contribueront à l’emploi et à la croissance, notamment dans les domaines des énergies renouvelables, de l’agroalimentaire et du tourisme. Ensuite, nous aiderons à mettre en œuvre les réformes structurelles : réforme de l’administration fiscale, de la sécurité sociale, de la santé publique, mise en place d’un « e-governement » afin de limiter les contacts entre l’administration et les citoyens et donc la corruption, alléger la bureaucratie pour faciliter la création d’entreprises et les investissements…

Absolument. La structure de l’économie grecque ressemble d’ailleurs beaucoup à celle des anciens pays de l’Est : forte présence de l’État dans l’économie, forte bureaucratie. Les instruments de la BERD seraient très utiles et il est dommage qu’elle ne puisse pas intervenir en Grèce. Je réfléchis à la façon dont on pourrait offrir des instruments similaires pour le financement des entreprises en se servant de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de la garantie des fonds structurels, car aujourd’hui le système bancaire grec est incapable de financer l’économie du pays. (photo: manifestation, hier, de policiers devant l’ambassade d’Allemagne)
Il est remarquable de constater que tous les pays qui ont des difficultés dans la zone euro sont ceux qui ont le plus bénéficié des aides régionales. N’ont-elles pas contribué à créer des bulles (immobilière, de consommation) ? L’Union n’aurait-elle pas dû veiller, en contrepartie, à ce que la politique économique et budgétaire soit saine ?
Je suis tout à fait d’accord. Si on ne l’a pas fait, c’est par manque de volonté politique, car cela implique d’intervenir dans la définition des politiques économiques des États, ce qu’ils n’étaient pas prêts à accepter. Il ne faut pas oublier que lorsqu’on a créé la politique de cohésion, en 1988, c’était avant l’union économique et monétaire. Mais, même après, le lancement de l’euro, le pilier économique que la France réclamait n’a pas vu le jour. Nous avons eu tort, car nous avons laissé la productivité des pays du sud se dégrader, et les salaires s’envoler. L’Union s’est trop focalisé sur les seuls problèmes budgétaires. C’est pourquoi il faut désormais établir un lien macro-économique entre les fonds structurels et les politiques économiques. Cela va être un vrai sujet lors des négociations des prochaines perspectives financières.
Comment allez-vous pouvoir travailler avec une administration largement inefficace et corrompue ?
C’est un problème. Mais nous serons sur place pour surveiller la mise en œuvre des réformes, comme l’a fait avec succès la BERD dans les pays de l’Est en transition. J’espère que nous verrons des progrès dans l’année, notamment en matière de perception des impôts. Mais, pour que notre mission soit un succès, il faudra une détermination de long terme au niveau politique.
Photos: Reuters et AFP