C'est toujours possible, mais les conséquences seraient absolument catastrophiques à la fois pour le pays qui renoncerait à l'euro, mais aussi pour les pays qui resteraient dans la zone euro. La Grèce ferait immédiatement défaut sur sa dette publique, puisque celle-ci serait convertie dans la nouvelle monnaie, sinon quitter la zone euro n'aurait aucun sens. Mais on oublie que le secteur financier ferait aussi faillite, comme on l'a vu en Argentine : en effet, tous les détenteurs de dépôts dans les banques grecques les retireraient pour les placer dans des banques étrangères en euros afin de ne pas les voir perdre environ la moitié de leur valeur, voire plus. C'est ce qu'on appelle un « bank run ». Ensuite, si les entreprises grecques ont des dettes extérieures en euros, par exemple auprès d'une banque allemande ou française, la charge deviendra trop forte et elles feront aussi défaut. Je rappelle qu'en Argentine, onze ans après le défaut, la banque centrale gère ses réserves en investissant en papiers de la Banque des règlements internationaux (BRI) faute d'avoir accès aux obligations américaines ou européennes : en effet, si la banque centrale le faisait, ces papiers seraient saisis par les créanciers, puisque la dette argentine n'a pas été remboursée. Enfin, comme la sortie de l'euro n'est pas prévue par les traités européens, il faudra soit les violer, soit sortir de l'Union, seule possibilité actuellement prévue, soit les modifier, ce qui prendra du temps et laissera le temps à la panique de s'installer.
Mais en quittant l'euro, la Grèce ne pourra-t-elle pas retrouver plus rapidement sa compétitivité grâce à sa drachme dévaluée ?
La dévaluation n'est pas forcement la panacée que certains prétendent, les choses sont malheureusement plus compliquées. Le déficit commercial de la Grèce est énorme : le ratio des exportations grecques rapporté au PIB est le plus faible de la zone euro (en dessous de 20 % avant la crise, un peu au-dessus aujourd'hui). Si la monnaie se déprécie de 40 ou de 50 % comme c'est probable, le coût des importations sera renchéri le coût des exportations sera diminué. Comptablement il y aura donc une augmentation du déficit commercial. En outre, vu le niveau de ce déficit, la Grèce n'aura plus accès à un financement extérieur une fois sorti de l'Union. Ce qui signifie que les Grecs ne pourront plus financer leurs importations et qu'il pourra y avoir des pénuries de produits de base (alimentation, pétrole, etc.). Enfin, il y a de fortes chances que l'Union impose des droits de douane à un pays qui l'aurait quitté pour dévaluer... Bref, le gain pour les exportations n'est absolument pas certain. En réalité, on fait comme si sortir de l'euro n'était pas destructif. Or c'est faux, car cela créerait de tels désordres économiques et financiers que même si on fait l'hypothèse que la dévaluation aidera la croissance, ces gains seraient mineurs en comparaison du choc subi.
Avez-vous chiffré le coût d'une telle sortie pour la Grèce ?
On est sur des scénarios tellement extrêmes que les modèles économiques ne veulent plus dire grand chose. Mais nous estimons qu'une sortie de l'euro coûterait environ 10.000 euros par citoyen grec la première année et plusieurs milliers d'euros les années suivantes. L'ordre de grandeur de contraction du PIB sera compris entre 30 à 40 %. En fait, les Grecs perdraient environ la moitié de leur richesse actuelle. Si l'on compare avec l'Argentine ou d'autres pays qui ont connu des évènements approchant, ce sont des ordres de grandeur crédibles. Nous sommes absolument convaincus de l'ampleur du désastre qu'une sortie de l'euro représenterait.
Un défaut de la Grèce dans la zone euro n'aura pas les mêmes effets ?
Elle peut se faire par deux voies : les marchés peuvent légitimement penser que d'autres pays pourraient suivre. Ils vont donc demander une prime de risque sur les emprunts des pays les plus exposés. Il faut se souvenir que les taux d'intérêt du Portugal dans les années 90 étaient de 10 % supérieur à ceux de l'Allemagne alors que sa dette était peu élevée. Pour l'Espagne et l'Italie, c'était 7 % de plus. Donc on parle de chiffres qui peuvent rendre les États insolvables. Le second canal peut être celui des banques : si vous possédez un compte dans un des pays fragiles, vous allez transférer vos avoirs dans des banques sûres. Donc on se retrouvera face à un bank run sur le système financier, ce serait potentiellement bien pire que la faillite de Lehman Brothers.
L'Allemagne n'a-t-elle pas à gagner à une sortie de l'euro ?
Ils seront aussi géopolitiques, un élément qui est souvent négligé par les économistes. Pour l'Allemagne ou pour la France, le fait de parler au nom d'une zone qui pèse 300 millions d'habitants, dont le PIB équivaut à celui des États-Unis et dont la devise est la seconde monnaie de réserve au monde représente quelque chose qui est loin d'être négligeable. Mais le plus grave est ailleurs : historiquement, on sait que sortir d'une zone monétaire est beaucoup plus compliqué et coûteux que de mettre fin à un système de change fixe. Surtout, dans la très grande majorité des cas, les pays qui ont tenté ce genre d'aventure se sont retrouvés avec des régimes autoritaires. Pourquoi ? À cause des désordres sociaux que ce choc a entrainé.
En clair, quand on est dans une monnaie unique, on ne peut plus en sortir ?