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Pourquoi la femme a ses lunes

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Il existe dans de nombreuses cultures un lien entre la lune et la femme, comme si la lune, lorsqu’elle devenait «pleine», renvoyait par sa forme à l’ovulation féminine: «d’une femme aussi on dit qu’elle est pleine», remarque Antonio Fischetti, auteur d’un ouvrage consacré aux mystères de la sexualité. L’angoisse du morpion avant le coït: le livre paraît léger, mais il est très révélateur des questionnements contemporains concernant le sexe. Parmi les énigmes que tente de résoudre Antonio Fischet
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publié le 14 novembre 2011 à 11h42
(mis à jour le 19 août 2019 à 11h04)

Il existe dans de nombreuses cultures un lien entre la lune et la femme, comme si la lune, lorsqu'elle devenait «pleine», renvoyait par sa forme à l'ovulation féminine: «d'une femme aussi on dit qu'elle est pleine», remarque Antonio Fischetti, auteur d'un ouvrage consacré aux mystères de la sexualité.

L'angoisse du morpion avant le coït: le livre paraît léger, mais il est très révélateur des questionnements contemporains concernant le sexe. Parmi les énigmes que tente de résoudre Antonio Fischetti (qu'il s'agisse de savoir pourquoi un testicule est plus bas que l'autre ou pourquoi le porno nous intéresse), celle de la lune comme symbole féminin fait partie de ses recherches les plus intéressantes. «La durée des cycles est la même pour la lune et la femme, souligne-t-il. 28 jours grosso modo (exactement 29,5 jours en moyenne). Le fait que les cycles féminins et lunaires aient la même durée, voilà qui est étrange.»

L'hypothèse la plus fréquemment évoquée est celle d'une influence directe de la lune sur le corps. «On pense aux marées. Il est vrai que la lune est responsable de ces va-et-vient aquatiques». Plus la lune est proche de la terre, plus elle attire la masse lourde des océans qui se bombent vers l'astre… Lorsque la force d'attraction du soleil se combine à celle de la lune, cela donne les grandes marées. Se pourrait-il que les astres exercent sur nos fluides corporels une action comparable? Impossible (1) répond Antonio Fischetti.

«Pour le comprendre, un peu de physique. Toutes les masses s'attirent mutuellement, exerçant l'une sur l'autre une force de gravitation. Quand deux personnes cheminent côte à côte, elles s'attirent mutuellement. Mais l'attraction est si faible qu'elles ne risquent pas d'être propulsées l'une sur l'autre. Car la force d'attraction est proportionnelle à la masse des corps et à la distance qui les sépare. La Terre nous attire parce qu'elle est grosse et lourde. La lune attire les océans parce qu'ils sont grands et lourds. Mais la force qu'elle exerce sur un être humain est extrêmement faible, car il ne pèse que quelques dizaines de kilos. Pour que l'attraction de la lune soit visible, il faut de grandes masses comme celle d'un océan. Dans une baignoire, vous pouvez toujours l'attendre, la marée."

Comparant l'effet que peut avoir sur nous d'autres masses, moins distantes, Antonio Fischetti affirme que la Tour Eiffel exerce certainement une influence bien plus importante que celle de la lune sur les femmes qui habitent dans le 7e arrondissement ou sur celles qui, chaque jour, passent par la station de RER champ de mars ou la station de métro Bir-Hakeim. Si tant est que leur cycle menstruel soit influencé par les lois de l'attraction universelle, il a certainement «plus de chances d'être affecté par le monument métallique tout proche que par notre lointaine satellite», se moque Antonio, qui rajoute: «Dans l'imaginaire collectif, bien des pouvoirs sont prêtés à la lune…». Sur les accouchements par exemple, qu'on prétend plus nombreux les nuits de pleine lune. «Infirmières et gynécologues avouent parfois l'avoir observé. On veut bien les croire. Malheureusement, lorsqu'on ne se contente pas d'impressions et qu'on analyse les registres de hôpitaux sur plusieurs années, les statistiques sont décevantes». La plupart démentent toute influence de la phase lunaire.

Dans le domaine de la criminalité, il ne semble pas non plus que les agressions augmentent les nuits de pleine lune. «Sauf peut-être avec les chiens. En décortiquant les registres du service d'urgence de l'hôpital de Bristol, des médecins anglais ont trouvé que les admissions pour morsures étaient deux fois plus nombreuses à la pleine lune que le reste du temps. Mais c'est peut-être tout simplement parce que les chiens sortent davantage, vu qu'ils y voient plus clair. Comme les fous d'ailleurs, ce qui expliquerait de légères augmentations des admissions parfois observées dans les hôpitaux psychiatriques». Mais même cela n'est pas certain.

En France, une étude réalisée à Toulouse démentait toute influence de l'astre lunaire : sur les 2478 entrées dans les services d'urgence psychiatrique toulousains, réparties sur les 366 jours de l'année 1992 (année bi-sextile), on ne note «pas de variation significative du nombre d'entrées selon le jour du cycle lunaire», «pas de variation significative selon le jour du cycle, de l'âge moyen des patients. Il n'y a pas non plus de différence concernant le sexe des patients et le mode d'arrivée. Concernant l'heure moyenne d'arrivée, [...] pas de différence significative. [...] pas d'influence significative du cycle lunaire sur les états d'agitation et les conduites d'alcoolisation». L'étude ne met non plus en évidence aucune «variation significative, au cours du cycle lunaire», du pourcentage de patients toxicomanes, psychotiques, anxieux, dépressifs ou autres… Rien.

En définitive, la pleine lune ne semble influencer la nature humaine que sur le plan de l'imaginaire. Dans l'histoire des religions, alors que le soleil est le plus souvent associé à la masculinité (2) et à l'état conscient, à la vie diurne, aux qualités chaudes, sèches, aériennes, la lune, elle, est fréquemment associée à l'inconscience, à la vie nocturne, aux qualités froides, humides et souterraines… Dans la Rome antique, par exemple, la déesse Junon qui préside aux naissances se voit consacrée une fête appelée "calendes" qui marquent la naissance du mois. A Junon, on donne d'ailleurs le nom de Kalendaris Juno: elle est la mère du calendrier, car elle patronne non seulement la naissance des humains mais la renaissance mensuelle de la lune. George Dumézil explique: «La déesse est envisagée comme faisant naître le mois» (La religion romaine archaique, Payot, 1966, p. 293). L'idée du cycle "mensuel" est d'ailleurs si étroitement associé à celui du cycle "menstruel", que d'innombrables expressions qualifient celles que leurs règles tourneboulent: «elle a ses lunes», «elle est mal lunée», «elle devient lunatique».

Dans Ulysse, James Joyce énumère d'autres points communs entre la femme et la lune: «sa dépendance de satellite ; (…) sa puissance sur le flux et le reflux; son pouvoir de rendre amoureux, de mortifier, de revêtir la beauté, de rendre fou, de pousser au mal et d'y aider; la calme impénétrabilité de son visage ; sa splendeur quand elle est visible; son attirance quand elle est invisible.» Brodant sur le thème de la beauté froide et bleutée qui fait hurler les loups à la mort, beaucoup de légendes affirment qu'il y a une femme sur la lune, aussi belle qu'inaccessible… Au Japon et en Chine, on lui dédie depuis des siècles une fête spéciale (tsuki-mi, la "vision de la lune") marquée par l'écriture de poèmes inspirés. Elle hante les hommes de désir. Elle est aussi celle qui, symboliquement, sommeille au coeur des femmes, tel un spectre, et se réveille à la faveur de leurs "nuits blanches"… double trouble… vampire virtuel, attendant son heure.

Dans l'imaginaire occidental moderne, c'est en tout cas ainsi que les tâches sont réparties : la femme est plus proche de la nature/de l'eros et l'homme de la culture/du logos. De là vient qu'on attribue aux femmes une plus grande "nervosité", un caractère hyper-sensible et des mouvements d'humeur incompréhensibles. Les femmes seraient des hystériques, car soumises aux métamorphoses d'une lune changeante. Alors que les mâles s'inscrivent dans une continuité liée au cycle solaire (à la fois annuel et quotidien), les femelles semblent régies par le cycle intermédiaire des mois qui marque un mouvement constant de croissance et de décroissance. Raison pour laquelle ce sont les femmes qui interviennent principalement dans les moments de la vie sociale marquant une rupture par rapport à la "continuité naturelle"… Ce sont elles qui procèdent à la toilette des morts, organisent les veillées funéraires, fabriquent les "remèdes de bonne femme" et jouent les rebouteuses.

Ce sont elles aussi qui, sous l'influence d'une croyance profondément enracinée dans nos cultures occidentales, ont le plus de mal à dormir les nuits de pleine lune. Alain Sousa, journaliste à Doctissimo, rapporte les résultats de l'étude suivante: «En 2003, des chercheurs anglais ont évalué le nombre d'appels dans un centre d'écoute et de soutien. Ils ont examiné les coups de fils liés au stress ou à l'anxiété. Et selon eux il y aurait effectivement une corrélation avec la lune, mais uniquement chez les femmes. Celles-ci seraient en effet plus nerveuses à l'approche de la pleine lune. L'explication reste obscure, même si les scientifiques évoquent une corrélation avec les cycles menstruels…" (BMC Psychiatry, 2003, vol.3, p. 20). Alors qu'aucune étude scientifique n'a pu démontrer clairement l'impact de la lune sur nos comportements, il y a des femmes qui continuent d'y "croire". Il y en a même qui trouvent de la beauté dans cette métaphore d'une "âme lunaire féminine", comme si le mythe de la femme cyclique, instable et pulsionnelle pouvait –malgré ses connotations péjoratives– leur apporter de la force et les aider à mieux vivre.

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Plus d'informations: une étude de 2004 de Wagner-Egger et Joris basée sur des recherches qui concluent en l'absence d'un lien statistiquement significatif entre le cycle lunaire et le comportement humain (concernant les agressions, suicides, coups de folie, accidents de voiture, nombre des accouchements etc).

Un célèbre texte de D.H. Lawrence, qui affirme que nous avons perdu le lien avec les planètes: «Il y a une éternelle correspondance vitale entre notre sang et le soleil: il y a une éternelle correspondance vitale entre nos nerfs et la lune», affirme-t-il, en opposant de façon très significative les deux polarités qui se trouvent en chaque être humain : la lune (astre des nerfs) et le soleil (astre du sang).

NOTES

(1) Si la lune produisait réellement l'effet d'une marée sur les fluides corporels, comment expliquer que les femmes n'aient pas leurs cycles toutes en même temps ? Nous serions toutes réglées comme la marée, à la seconde près. Et nos amies les bêtes auraient également les mêmes durées de cycle que nous, calquées sur la position des planètes. Mais, curieusement, "seule la femme présente un cycle de 28 jours: la chatte, c'est 21 jours et la brebis, 14 jours" s'exclame Antonio Fischetti qui conclut à un incroyable hasard: si la femme a des cycles d'une durée équivalente à celle de la lune, c'est comme ça, et voilà tout.

(2) Il se peut que le soleil soit associé au masculin dans les pays qui sont ceux du désert, où le soleil tue. En revanche, plus on monte vers le nord ou du côté des pays qui manquent de soleil et plus le soleil devient féminin, c'est à dire source de vie. «Le nom du soleil était féminin en celtique, comme dans toutes les langues indo-européennes anciennes» (dictionnaire des symboles). Mais là encore, il faut faire attention : il est probable que dans un grand nombre de religions anciennes les astres aient été à la fois féminins et masculins. Apollon, par exemple, que l'on définit à tort comme une divinité du soleil n'aurait été que le principe mâle permettant au soleil femelle de renaître chaque jour… J'y reviendrai plus tard.

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L'angoisse du morpion avant le coït, d'Antonio Fischetti, éd. Albin Michel.