
Pourtant, les notes des agences sont totalement intégrées dans les dispositifs réglementaires applicables aux institutions financières… Depuis trois ans, une avalanche de directives s’est donc abattue sur les agences afin de les contrôler, et surtout de soustraire leurs notes à toute réglementation. L’exercice n’est pas simple, puisqu’il n’est pas question de supprimer le système de notation, mais seulement d’éviter ses dysfonctionnements. Aujourd’hui, la Commission européenne a adopté une proposition de règlement (directement applicable une fois votée par le Parlement européen et le Conseil des ministres) qui renforce pour la troisième fois le contrôle du secteur. Il faut reconnaître que les agences de notation ont joué la politique du pire. Pour se refaire une virginité, elles ont dégradé à tour de bras les notes des institutions financières, des produits financiers complexes et, surtout, des dettes souveraines, en particulier celles de la zone euro.
Car, là aussi, elles ont beaucoup à se faire pardonner, puisqu’elles n’ont absolument pas vu venir la crise du surendettement causée par des politiques économiques et budgétaires inadaptées. Aussi, depuis le début de la crise de la zone euro, elles ont baissé en rafale et de concert les notes des Etats attaqués, précipitant leur chute, les marchés voyant dans les dégradations la confirmation de leurs craintes. Et les agences dans la panique des marchés celle de leurs analyses catastrophistes.
Dès lors, rien de surprenant à ce que l’UE soit en pointe dans la réglementation des agences. Pour limiter la casse, elles se livrent à un lobbying effréné. Non sans succès. Ainsi, Michel Barnier, le commissaire européen chargé du Marché unique, a dû en rabattre sur ses prétentions. Ses collègues les plus libéraux ont obtenu que la suspension temporaire (deux mois) de la notation d’un Etat en difficultés financières soit abandonnée. De même, ils se sont opposés aux dispositions anticoncentration. Barnier voulant interdire toute fusion aux entreprises pesant déjà 20% du marché. Enfin, la responsabilité civile des agences est limitée aux seules erreurs intentionnelles, l’incompétence échappant à toute poursuite.
Pour Michel Barnier, commissaire européen chargé du Marché unique et des Services financiers, les agences de notation exercent une mission de service public, ce qui impose de les encadrer étroitement. Il a répondu hier à mes questions.
Que reprochez-vous aux agences de notation ?
C’est moins les agences de notation que je critique que le pouvoir exorbitant qu’on leur a donné. Toute la réglementation prudentielle, c’est-à-dire les règles applicables aux banques, aux assurances, aux marchés financiers, fait référence à leurs notes. Par exemple, les règles de Bâle se basent sur les notations pour exiger que le capital des banques soit composé d’un certain nombre d’actifs considérés comme sûrs. La proposition de règlement que je soumets aujourd’hui à la Commission vise à réduire la dépendance légale à ces notes afin de les relativiser. Si elles n’ont plus de valeurs légales, elles redeviendront de simples informations utiles.
Déjà, le 20 juillet, j’ai proposé, dans le texte qui met en œuvre les règles de Bâle III, d’obliger les 8 300 banques européennes à faire leur propre analyse de risque sans être obligées de se reposer mécaniquement sur les analyses des agences. Avec la proposition d’aujourd’hui, il en ira de même pour la gestion d’actifs et les fonds d’investissement. Enfin, dès l’an prochain, nous ferons de même pour le secteur de l’assurance. Les autorités européennes se verront donner un mandat général pour s’assurer que les institutions financières font leurs propres analyses de risque.
Si vous réduisez la dépendance aux notes, c’est parce que vous estimez que les agences de notation font mal leur travail…
La crise financière a montré que la notation de beaucoup de produits avait été faite n’importe comment. Ainsi, aux Etats-Unis, les crédits dits subprimes bénéficiaient d’un triple A, la note la plus élevée, à la veille de leur effondrement. Les agences ont donc été défaillantes, pas systématiquement, mais dans de nombreux cas, plus de 80% des triples A des subprimes ont dû être dégradés. Cela a eu un effet négatif sur la stabilité des marchés. Il ne s’agit pas de casser le thermomètre, mais de faire en sorte que le thermomètre fonctionne correctement, que l’on prenne la température au bon moment et d’empêcher qu’il accentue la fièvre.
Le marché est, à 90%, entre les mains de trois grandes agences. N’est-ce pas un problème ?
C’est pour cela que nous prenons une série de mesures destinées à accroître la concurrence. Afin d’en terminer avec les positions acquises et les conflits d’intérêts, les entreprises émettant des produits financiers seront obligées de changer tous les trois ans d’agence. Et, pour éviter que l’information ne se perde, l’agence aura accès au dossier de son prédécesseur. Toujours dans le même esprit, l’actionnaire détenant 5% du capital d’une agence ne pourra ni détenir d’action, ni prendre le contrôle d’une autre agence, et elles ne pourront pas émettre de notations pour le compte d’un de ses actionnaires s’il détient 5% de son capital. Enfin, nous allons les obliger à expliquer leur structure de prix. A plus long terme, je souhaite que nous favorisions le regroupement des petites agences.
Nous voulons que la nouvelle Autorité européenne des marchés [Esma], qui supervise les agences de notation, puisse vérifier que la méthodologie qu’elles utilisent est conforme à toutes les normes de qualité que nous avons introduites depuis deux ans. A défaut, l’agence pourra être sanctionnée soit par une amende, soit par une suspension de son autorisation d’exercer. L’Autorité ne se prononcera évidemment pas sur les notes elles-mêmes.
Vous allez donc contrôler les méthodes de fabrication des notes alors que vous ne contrôlez pas le processus de fabrication du Coca-Cola ?
Nous irons aussi loin que nécessaire pour assurer que les méthodologies sont conformes aux lois européennes. Il faut bien voir que les agences de notation sont des entreprises qui ont une activité qui présente, par certains côtés, des caractéristiques d’intérêt général. Leurs notes ont des conséquences sur la stabilité financière des entreprises et des Etats. Elles ne peuvent donc pas prétendre exercer leur mission, qui a tant de conséquences sur la vie des gens, sans être étroitement encadrées.
La notation souveraine, comme on peut le voir depuis deux ans dans la zone euro, a accru l’instabilité des marchés…
C’est pour cela qu’à l’avenir l’Etat qui fera l’objet d’une notation devra être informé un jour ouvré avant publication, afin de lui donner le temps de réagir si un élément est inexact. Il faut bien voir qu’aujourd’hui, la note tombe sans crier gare. Il y a un besoin de confrontation. Mes collègues et moi-même devront décider demain si nous donnons à l’Esma le pouvoir de suspendre, pendant une période limitée, la notation d’un Etat européen qui négocie ou bénéficie d’un programme d’assistance financière. J’ai été très frappé de voir que les notes de la Grèce, de l’Irlande ou du Portugal ont été dégradées juste avant l’adoption d’un plan de redressement, alors que les agences n’avaient pas encore en main l’ensemble des éléments pour juger. Résultat : la dégradation a accru leurs difficultés en déstabilisant les marchés financiers au pire moment.
Vous pouvez aussi relire l’interview de Michel Madelain, le patron de Moody’s ici.
N.B.: dossier paru ce matin dans Libération
Photos: Reuters