
Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont échoué à résoudre la crise de la dette souveraine. Presque deux ans jour pour jour après que la Grèce ait reconnu un déficit public trois fois plus important que prévu, le constat est sans appel pour le couple franco-allemand : la crise, non seulement n’a pas été limitée à la Grèce (environ 2 % du PIB de la zone euro), mais elle s’est étendue à l’ensemble des pays dits « périphériques » et touche désormais le cœur de la zone euro, France, Autriche, Finlande, Pays-Bas et Belgique. Les marchés financiers n’ont clairement plus confiance dans l’euro. Seule l’Allemagne est encore ménagée, mais pour combien de temps ? Si tous les partenaires de Berlin sont emportés, elle n’en sortira évidemment pas indemne : ses banques sont gorgées de dettes souveraines et elle effectue 60 % de ses exportations vers l’Union. « La crise de la zone euro a atteint un stade très dangereux », a mis en garde hier, devant le Parlement européen, Guy Verhofstadt, le patron du groupe libéral.
Ce diagnostic est partagé par tous les responsables européens : « l’Europe vit l’une des heures les plus difficiles depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, peut-être même son heure la plus difficile », a ainsi reconnu Angela Merkel, lundi, devant le congrès de son parti, la CDU (chrétien-démocrate). Mais, elle n’a pas esquissé l’ombre d’une autocritique. Pas plus que son homologue français qui clame pourtant quasiment à chaque sommet de crise (onze en vingt mois, sans compter les G8 et les G20) que l’Europe est enfin parvenue à une solution « ambitieuse et durable », avant d’être aussitôt démenti par les marchés. Or, la responsabilité de la chancelière allemande et du président français dans le cataclysme qui s’annonce est totale puisqu’ils se sont emparés des commandes de la zone euro dès le début de la crise au détriment des institutions communautaires et de leurs partenaires.
Nicolas Sarkozy le revendique d’ailleurs sans fausse gêne : « le problème de l’Europe, c’est l’absence de leadership », a-t-il récemment confié en privé. « Un directoire franco-allemand est nécessaire en période de crise, car il faut un petit exécutif ». Le problème est que ce directoire, qui a gagné le nom de « Merkozy », a tenté de régler une crise financière comme s’il s’agissait d’une crise diplomatique, c’est-à-dire en négociant des compromis boiteux qui ont aggravé la défiance des marchés alors qu’il fallait des décisions tranchées. Car, dès le départ, tout a opposé Berlin et Paris. Merkel, sous la pression des libéraux eurosceptiques du FDP, a ainsi refusé toute solidarité financière avec la Grèce et a même envisagé un défaut d’Athènes voire sa sortie de l’euro. Il a fallu que Paris négocie longuement pour qu’elle se résolve à voler à son secours, six mois après le début de la crise. Trop tard pour éviter la panique des marchés.

Mais cela n’a pas fonctionné. Pourquoi ? Parce que « les marchés se sont à chaque fois sentis trahi par les politiques qui ont passé leur temps à se déjuger », affirme Laurence Boone, économiste en chef « Europe » de Bank of America. « Lorsqu’au G20, ils ont dit à la Grèce qu’elle pouvait quitter la zone euro si elle le voulait, cela a été le coup de grâce : non seulement les investisseurs pouvaient perdre de l’argent sur la dette européenne, mais en plus la taille de la zone euro pouvait varier ». Les marchés ayant horreur de l’incertitude, ils ont commencé à fuir l’ensemble de la zone euro…

Certes, sous les coups de boutoir de la crise, les lignes bougent. Ainsi, l’UMP se fait à l’idée du fédéralisme, à l’image d’Alain Juppé qui « assume » le terme. En Allemagne, les cinq « sages » du comité économique ont remis un rapport la semaine dernière dans lequel ils plaident pour une mutualisation des dettes européennes dépassant les 60 % du PIB en échange d’un plan de rigueur budgétaire. Mardi, Peter Bofinger, l’un des conseillers du gouvernement allemand, a encore été plus loin en demandant une intervention illimitée de la BCE « avant que nous ne nous engagions dans un processus incontrôlable dans lequel les gouvernements et les banques de la zone euro se tirent les uns les autres vers le bas ». La gauche, dans les deux pays, est aussi en faveur d’une solution de choc, mais les élections n’ont lieu qu’en mai 2012 en France et septembre 2013 en Allemagne. Au rythme où se meut l’attelage « Merkozy », l’euro aura sans doute disparu avant. Comme l’a dit, fataliste, Daniel Cohn-Bendit, le coprésident du groupe vert hier devant le Parlement européen, « le danger en Europe augmente, mais on ne voit pas très bien ce qui va nous sauver » (son intervention, qui vaut le détour, est ici).
N.B.: Version rallongée (car sans contrainte de place) de l’article paru ce matin dans Libération
Photos: Reuters