
• Un sommet « de la dernière chance » ?
« On danse au bord du gouffre et à force d’y danser on va finir par tomber dedans », soupire-t-on à l’Élysée. Mais personne n’imagine que l’euro soit menacé en tant que monnaie. Certes, les marchés financiers sont de plus en plus nerveux, les agences de notation menacent de dégrader toute la zone euro, le système financier européen est fragilisé par la crise, mais pour que l’euro s’effondre, il faudrait qu’un ou plusieurs pays aient intérêt à sortir de la monnaie unique. Or, tout le monde a fait ses calculs depuis deux ans que dure la crise et les gouvernements ainsi que la grande majorité des économistes sont persuadés qu’une sortie de la zone euro aurait des conséquences dramatiques pour le ou les pays qui tenteraient l’aventure.
Comme le dit Stéphane Déo, économiste en chef chez UBS, « l’euro, c’est comme la chanson Hôtel California : une fois entré, on ne peut plus en ressortir ». Tous les maux actuels dont souffrent une partie des économies européennes — désormais totalement imbriquées comme le souligne la menace de Standard & Poor’s de dégrader la zone euro dans son ensemble — à savoir un surendettement et une perte de compétitivité, ne seraient pas atténués par un retour à la monnaie nationale, mais amplifiés. En revanche, une absence de solution à la crise de la dette plongera à coup sûr la zone euro dans une profonde récession faute de pouvoir se financer sur les marchés, avec le risque d’un effondrement d’une partie de son système financier. En clair, un échec serait grave, mais ne condamnerait pas la zone euro.
• Quels sont les enjeux de ce sommet ?
« Les marchés ont besoin d’être rassurés » afin qu’ils investissent à nouveau dans une zone euro dont la pérennité et la croissance ne leur paraient plus assurés, souligne Laurence Boone, économiste en chef de Bank of America : « après deux ans, ils sont prêts à entendre un tel message pour peu que le plan qu’on leur présente soit crédible ». Et c’est bien là où le bât blesse : si sur le long terme, les pays de la zone euro sont d’accord pour créer une vraie « union budgétaire » impliquant à la fois une surveillance contraignante des budgets nationaux et des politiques économiques (fiscalité, emploi, retraite, sécurité sociale, compétitivité et donc politique salariale), ils sont en désaccord sur le court terme, c’est-à-dire sur les moyens de calmer les marchés en instituant une vraie solidarité financière afin de se donner le temps de purger les finances publiques et de faire converger les politiques économiques.

Mais Berlin, soutenue par Paris veut « constitutionnaliser », d’ici mars prochain, la quasi-totalité de ces nouvelles règles en les incluant dans les traités afin d’éviter qu’une majorité de circonstances ne les modifie comme en 2005 sous l’impulsion de Jacques Chirac et de Gerhard Schröder. L’Allemagne exige aussi que les traités obligent les États à introduire dans leur constitution nationale, sous la surveillance de la Cour de justice européenne, la fameuse « règle d’or », qui impose l’équilibre budgétaire, ce qui permettrait aux Cours constitutionnelles nationales de retoquer un budget qui ne serait pas en ligne. Dans une lettre commune qui récapitule ces exigences, envoyée hier à Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy souhaitent aussi que la zone euro se dote de règles communes en matière de régulation financière, de marché du travail, de fiscalité (harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, taxe sur les transactions financières), de politique de soutien à la croissance et d’utilisation des aides régionales européennes.
En revanche, Berlin persiste à refuser toute solidarité financière au-delà du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et du Mécanisme européen de stabilité (MES), son successeur : il n’est pas question de créer des obligations européennes, de transformer le MES en banque afin de lui permettre d’avoir accès aux liquidités de la Banque centrale européenne (BCE) ou de demander à cette dernière d’intervenir massivement sur le marché secondaire de la dette souveraine (celui de la revente). L’Allemagne s’est contenté de faire deux concessions à Paris : elle a renoncé à la restructuration automatique des dettes publiques pour les pays placés sous assistance financière et a accepté que le MES décide à la majorité renforcée.
• Quels sont les points de désaccord ?

Surtout, il n’est pas du tout acquis que la modification des traités que proposent Berlin et Paris, et que préconisent aussi les trois présidents, passe la rampe. En effet, la Grande-Bretagne veut profiter de l’occasion pour récupérer une partie des compétences actuellement dévolue à l’Union, en particulier dans le domaine des services financiers. David Cameron, le premier ministre britannique, a annoncé qu’il était prêt à se battre comme un « bouledogue »… D’autres pays eurosceptiques, comme la République tchèque ou la Suède, pourraient en profiter pour présenter leurs propres exigences. Aussi, Berlin et Paris sont déterminés à avancer au sein de la seule zone euro si nécessaire en concluant un traité ad hoc. Mais cette solution n’est pas simple, ni juridiquement, ni politiquement. En effet, dans ce cas, ce serait une union budgétaire qui ne pourrait pas avoir recours aux institutions communautaires et qui fonctionnerait sur le mode intergouvernemental. Or, de cela, les pays les plus fédéralistes (Italie, Espagne, Belgique ou encore Luxembourg) ne veulent pas, car cela reviendrait à remettre les clefs de la maison à « Merkozy ». On n’est pas couché…
Photos: Reuters
N.B: version longue de mon article paru ce matin dans Libération (la place, toujours la place...)