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Blog «Coulisses de Bruxelles»

Quand la commission redécouvre la croissance...

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C’est l’histoire d’une mère qui offre deux chemises à son fils. Pour lui faire plaisir, il en met une : « tu n’aimes pas l’autre ? », lui lance-t-elle alors. C’est exactement l’ordre contradictoire auquel est confronté la zone euro : « les marchés ont une attitude schizophrène : ils demandent des réductions de déficits, mais réagissent négativement quand cela réduit la croissance », dénonce ainsi Olivier Blanchard, l’économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI). De fait, si les marc
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publié le 19 avril 2012 à 12h12
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h10)
RTR30W4D_CompC’est l’histoire d’une mère qui offre deux chemises à son fils. Pour lui faire plaisir, il en met une : « tu n’aimes pas l’autre ? », lui lance-t-elle alors. C’est exactement l’ordre contradictoire auquel est confronté la zone euro : « les marchés ont une attitude schizophrène : ils demandent des réductions de déficits, mais réagissent négativement quand cela réduit la croissance », dénonce ainsi Olivier Blanchard, l’économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI). De fait, si les marchés financiers refusent désormais de financer la croissance à crédit de peur de ne pas retrouver leurs billes vu le niveau d’endettement des Etats, ils s’inquiètent en même temps de voir l’activité s’effondrer et le chômage grimper à cause de la cure d’austérité que s’inflige la zone euro, celle-ci risquant en effet de rentre tout aussi aléatoire le remboursement des dettes. Comment sortir de cette spirale infernale, d’autant que « les politiques fanatiques d’austérité », selon l’expression de la coprésidente du groupe Vert au Parlement européen, l’Allemande Rebecca Harms, risque de conduire à une explosion sociale ? C’est l’exercice auquel s’est risqué hier la Commission européenne qui, dans deux communications présentées aux eurodéputés réunis à Strasbourg, dont l’une exclusivement consacrée à la reconstruction de la Grèce, estime que rigueur et croissance ne sont pas forcément antinomiques.
Il est en tout cas clair que les marchés ne laisseront pas les Etats de la zone euro relâcher leurs efforts budgétaires au nom de la croissance : la brutale poussée de fièvre sur l’Espagne depuis quelques jours, qui a immédiatement contaminée l’Italie et même la France et la Belgique, des pays fragilisés par la dégradation de leurs finances publiques, est largement due à l’incapacité de Madrid de tenir ses objectifs de réduction de déficit budgétaire. Autant dire, comme l’a souligné le président de la Commission, José Manuel Durao Barroso, que la crise est loin d’être « derrière nous » et qu’il faudra un « travail de longue haleine » pour en sortir, un avis partagé par l’ensemble des groupes politiques. Autant dire, qu’il n’est pas question de « relancer l’économie sur la base d’un stimulus budgétaire » qui serait « un retour aux erreurs du passé », selon Barroso. Il faut donc trouver autre chose sans dépenser plus.
Barroso plaide ainsi, même si l’Union n’a aucune compétence dans le domaine salarial, pour l’instauration d’un salaire minimum dans tous les pays de l’Union. Il dénonce notamment l’accroissement des travailleurs pauvres (8 % dans l’Union gagnant moins de 60 % du revenu national) dont le salaire est insuffisant pour leur permettre de vivre décemment : « Un bas salaire fournit un avantage compétitif à court terme, mais est suicidaire sur le long terme car il déprime la demande », estime un fonctionnaire de la Commission. Pour Karima Delli, députée verte (France), « l’Allemagne est prise pour cible, puisqu’elle a choisi de bloquer les salaires de ses travailleurs, s’engageant dans une logique de compétitivité non-coopérative vis-à-vis de ses partenaires européens, et en en faisant payer le prix à ses millions de travailleurs pauvres ».
RTR30W4W_CompL’exécutif européen estime, en revanche, qu’il faut éviter de fixer un salaire minimum par pays, mais plutôt par branche : « chaque profession a des besoins particuliers : si l’on veut attirer des gens vers les professions paramédicales, il faut que le salaire minimum y soit plus élevé que dans le bâtiment », poursuit ce même fonctionnaire. Le secteur de la santé est d’ailleurs l’un des « gisements » d’emplois identifié par Bruxelles : d’ici à 2015, 700.000 postes y seront vacants et devront sans doute être occupés par des non européens faute de main-d’œuvre suffisante sur place. Les nouvelles technologies (200.000 emplois créés par année) et l’économie verte (20 millions d’emplois d’ici 10 ans) sont les deux autres « portes de sortie du tunnel du chômage » comme le dit joliment un porte-parole de la Commission.  Mais, pour ne pas passer à côté de ces emplois, encore faut-il diminuer le coût du travail (Bruxelles plaide pour un transfert vers la TVA, le CO2 ou la propriété immobilière) et lever tous les obstacles à la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union qui restent encore nombreux (reconnaissance imparfaite des diplômes, impossibilité de toucher ses allocations chômage en recherchant un emploi dans un autre pays, problème de conservation des droits sociaux, systèmes fiscaux antagonistes, etc.) En particulier, la Commission propose de regrouper dans une seule base de données l’ensemble des offres d’emplois de l’Union (EURES).
Barroso sait que, même si ces recettes fonctionnent, cela restera insuffisant pour stabiliser la zone euro. A terme, il estime que « pour assurer une véritable convergence économique, il faudra une mutualisation de la dette publique » de la zone euro, autrement dit la création d’un Trésor européen et l’instauration d’un vrai gouvernement de la zone euro. Des thèmes majeurs bizarrement absent de la campagne présidentielle française. On est loin en tout cas loin du « cocktail explosif de mesures ultralibérales » dénoncé par avance par Marine Le Pen, la candidate du Front National. D’ailleurs, Karima Delli s’est réjouit des « frémissements d’un glissement idéologique (de la Commission), avec la mise en avant de solutions de type keynésien, voire écologistes ».
Photos: Reuters
N.B.: article paru aujourd’hui dans Libération papier