
« Napoléon aimait les généraux qui avaient de la chance », s’amuse Sylvie Goulard, députée européenne (Modem, parti de François Bayrou) : « François Hollande en a : il est entré au PS au bon moment, en a pris le contrôle au bon moment, l’a quitté au bon moment, s’est présenté aux primaires socialistes au bon moment et il est élu au bon moment, celui où toute l’Union européenne prend conscience que l’austérité est une voie sans issue. Le nouveau chef de l’État devrait donc obtenir de ses partenaires qu’ils relancent une machine économique européenne grippée et se prévaloir d’un beau succès ». Autrement dit, si son élection n’est pas « décisive » pour l’Europe, comme il l’a proclamé, elle tombe incontestablement au moment idoine : « le timing en politique, c’est essentiel », poursuit Sylvie Goulard.
L'élection d'un socialiste à la tête de l'État français semble, de fait, soulager beaucoup de monde, comme le montre cette réaction d'un proche d'un chef de gouvernement démocrate-chrétien, à qui je communiquais, vers 18 h dimanche, le résultat de l'élection : « on a gagné ! » Le président de la Commission et conservateur portugais, José Manuel Durao Barroso, s'est tout autant réjoui, lundi, devant un groupe de journalistes français, de cette élection : « nous vivons un moment essentiel pour l'Europe : il devient possible de porter une plus grande attention au nécessaire équilibre entre stabilité budgétaire et croissance ». Quasiment du Hollande dans le texte : « le sérieux budgétaire oui, l'austérité à vie, non ».
Pour les dirigeants européens, pourtant très majoritairement de droite, l'attelage entre Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel était devenu un boulet pour la zone euro. Après avoir incontestablement sauvé la monnaie unique, le couple en est venu à incarner une austérité budgétaire intransigeante. Les deux rives du Rhin ayant eu toutes les peines du monde à accorder leurs violons — il leur a fallu deux ans pour y parvenir — qu'il n'était plus question de toucher au moindre élément de ce fragile compromis : solidarité financière (pour l'Allemagne) contre équilibre des comptes publics (pour les partenaires de Berlin).
Or, le résultat des élections en Grèce, qui ont eu lieu en même temps qu'en France, a achevé de convaincre les plus « libéraux » que l'austérité sans fin risquait non seulement de mettre la zone euro à genoux, mais qu'elle pouvait conduire les extrêmes (gauche radicale ou extrême droite) au pouvoir. Même si la France n'est pas en récession et n'a fait qu'effleurer la rigueur, la poussée enregistrée par Marine Le Pen au premier tour de l'élection présidentielle (près de 18 % des voix) montre que le temps est compté. Les marchés, qui ne sont pas à une contradiction près, se montrent d'ailleurs de plus en plus sceptiques sur la cure de rigueur que s'est imposée, pourtant sous leur contrainte, la zone euro : le malade pourrait bien mourir guéri.
« Pendant deux ans, les chefs d'État et de gouvernement européens ont été obnubilés par la nécessité de donner des gages aux marchés financiers afin de régler la crise de la dette publique », confirme un fonctionnaire européen. « Il n'a été question que d'austérité et il n'y avait pas d'appétit pour débloquer des fonds européens en faveur de la croissance. On espère désormais que la situation va se rééquilibrer ». Mario Draghi, le patron de la Banque centrale européenne, dès le lendemain du premier tour de l'élection française, a pris acte du changement d'équilibre politique qui s'esquisse en plaidant pour un « pacte de croissance », pendant du traité d'union budgétaire signé le 1er mars par 25 des 27 pays de l'UE et qui grave dans le marbre l'équilibre des comptes publics. Même la mère du traité d'union budgétaire, Angela Merkel, a semblé s'adoucir en reconnaissant, dans la foulée, que « nous avons besoin de croissance, de croissance sous forme d'initiative pérenne ».
Certes, il reste à démontrer que chacun voit la croissance de la même façon… Car la droite estime que les « réformes structurelles », comme l'assouplissement du marché du travail ou la révision à la baisse du modèle social européen, seront suffisantes pour relancer la machine. Sans être hostile à ce type de réforme, Hollande a aussi repris à son compte les idées défendues par la Commission, le Parlement européen et plusieurs gouvernements : création de « project bonds », un emprunt européen gagé sur le budget communautaire destiné à financer des projets européens, instauration d'une taxe sur les transactions financières alimentant le budget communautaire, accroissement des moyens de la Banque européenne d'investissement, déblocage des aides régionales non utilisées ou, à terme, mutualisation des dettes de la zone euro.
Si le nouveau chef de l'État français pourra compter sur de nombreux soutiens pour relancer la croissance, en revanche il ne trouvera personne pour l'aider à renégocier le traité d'Union budgétaire pour l'amoindrir, chacun craignant que cela n'envoie un signal désastreux aux marchés. Comme il risque de manquer d'alliés pour changer le mandat de la Banque centrale européenne afin de lui permettre de financer directement les États : chacun a bien conscience qu'il s'agit là d'une ligne rouge pour l'ensemble de la classe politique allemande et pas seulement pour le parti d'Angela Merkel. Prenant acte de ce rapport de force, l'entourage de François Hollande se dit d'ailleurs prêt à se contenter de l'ajout d'un volet croissance.
Reste que Hollande reste encore largement un mystère pour ses partenaires : « si on sait ce que Sarkozy voulait défaire, on ne sait toujours pas ce que Hollande veut faire », souligne-t-on dans les couloirs du Parlement européen. Le socialiste, qui se proclame européen de cœur, n'a guère été disert sur sa vision européenne alors même qu'il sait que la zone euro va devoir davantage s'intégrer au cours des prochaines années afin d'éviter une répétition de la crise de la dette. Il a délibérément évité les sujets européens durant la campagne, sans doute conscient que son électorat est plus que divisé sur la question. Selon un sondage, 61 % des électeurs qui ont voté non lors du référendum de 2005 sur le projet de traité constitutionnel européen ont choisi Hollande alors que 57 % des « ouistes » ont préféré Sarkozy… Barroso, qui est l'un des rares leaders conservateurs européens à avoir reçu le candidat socialiste, veut croire qu'il sera plus « communautaire », c'est-à-dire fédéraliste, que son prédécesseur. Le nom du premier ministre et de son entourage élyséen fourniront une indication sur la nature de ses projets.