
« Incroyable de retrouver Fabius à cette place », commente, sidéré, Daniel Cohn-Bendit, le coprésident du groupe Vert au Parlement européen. Personne n’a oublié à Bruxelles que l’ancien premier ministre a joué l’avenir de l’Europe, non par conviction, mais pour satisfaire ses ambitions personnelles… Conscient de sa mauvaise réputation Fabius, lors de sa prise de fonction, a tenu à se montrer rassurant : « je pense que (ma présence) est un grand atout. D’abord par ce que ça a été la décision majoritaire des Français. Ensuite et surtout parce dès cette époque, j’étais de ceux –je suis très Européen – qui avaient compris et dit que l’Europe ne fonctionnait pas bien ». « Cette affaire est derrière nous. Ce dont il est question c’est d’arriver à dire oui à une autre Europe, de sortir de la crise européenne et de bâtir autre chose ».
Fabius et Cazeneuve ne sont d’ailleurs pas les seuls eurosceptiques du gouvernement. Outre Christiane Taubira à la justice, il compte aussi Arnaud Montebourg au « redressement productif », Benoît Hamon à l’économie sociale et Alain Vidalies aux relations avec le Parlement. Si le souci de François Hollande de ne pas écarter les « nonistes » du gouvernement au risque d’en faire des opposants internes juste avant les législatives est évident, il faut aussi noter qu’il les a placés à des postes où, en réalité, ils n’auront guère de prise sur les affaires européennes.
En effet, elles sont gérées par l’Élysée, celles-ci faisant partie du « domaine réservé » du chef de l’État. C’est d’autant plus vrai depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, qui a exclu les ministres des Affaires étrangères du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement afin de réduire le format de ces réunions. Dès lors, son rôle essentiel est de siéger au Conseil « Affaires étrangères », une instance présidée par Catherine Asthon, la chef de la diplomatie européenne, c’est-à-dire de s’occuper des relations extérieures de l’Union. Le ministre des Affaires européennes, lui, occupe le fauteuil de la France au Conseil « affaires générales » (élargissement, loi de programmation budgétaire, questions administratives, etc.). Mais sa marge de manœuvre est quasiment nulle : il ne dispose pas d’administration propre et dépend en réalité des arbitrages réalisés sous l’égide du secrétariat général des affaires européennes (SGAE, actuellement sans patron), une administration rattachée à… Matignon. Cazeneuve part, en outre, avec un énorme handicap : sa méconnaissance totale des affaires européennes.

Le chef de l’État a aussi choisi un proeuropéen pour le portefeuille des finances en la personne de Pierre Moscovici. À la différence du chef de la diplomatie, il sera, lui, en contact direct avec les affaires communautaires : il siège à l’Eurogroupe et au Conseil des ministres de l’Économie et des Finances et il a sous ses ordres le directeur du Trésor qui est membre du Comité économique et financier, l’instance chargée de préparer les réunions de l’Eurogroupe.
On peut cependant regretter que le « pôle européen », un temps évoqué, ait finalement été abandonné : l’idée était notamment de rattacher le ministère des Affaires européennes à Matignon et de lui donner autorité sur le SGAE. Il serait ainsi devenu un véritable vice-premier ministre chargé de la coordination de la politique européenne de la France et il aurait même été envisageable qu’il siège au Conseil européen en compagnie ou à la place du Président de la République. Mais le risque qu’il finisse par faire de l’ombre au Premier ministre, mais aussi au Chef de l’État, a manifestement été jugé trop grand. Pour l’instant, l’Europe reste donc une compétence largement élyséenne.
Photos: Reuters
N.B.: version longue de mon article paru aujourd’hui dans Libération