
À son arrivée (il était même le premier à pénétrer dans le bâtiment du Conseil), le Président de la République a répété son credo : « c’est tout de suite qu’il convient d’agir pour la croissance », sinon « nous n’atteindrons pas les objectifs de réduction des déficits et des doutes se créeront sur les marchés ». Pour le chef de l’État, les « eurobonds » ou obligations européennes, c’est-à-dire la mutualisation de tout ou partie des dettes nationales, « font partie de la discussion », car c’est le seul moyen de rassurer définitivement les marchés en leur montrant que l’euro est bel et bien irréversible. Ce débat est devenu central depuis quelques jours avec la énième résurgence de la crise grecque : au lieu d’accumuler des «plans de sauvetage» chaque fois trop tardifs et trop limités, l’idée d’effectuer ce saut majeur vers la fédéralisation de la zone euro est défendue par la Commission (qui a détaillé les différentes options dans un livre vert présenté en novembre dernier) et le Parlement européen et s’est imposée dans la plupart des capitales européennes. Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen et donc point d’équilibre des États membres de la zone euro, estime ainsi, dans sa lettre d’invitation, qu’il « ne devrait pas y avoir de tabous » sur ce sujet et qu’il « n’est pas trop tôt pour anticiper » ce changement « fondamental ». Hollande voudrait qu’une feuille de route détaillant les étapes de la création des eurobonds soit adoptée dans « les douze prochains mois ».
Le hic est que le gouvernement allemand campe, pour l’instant, sur une ligne dure, soutenue par les Pays-Bas et la Finlande : « les euro-obligations ne contribuent pas à relancer la croissance dans la zone euro », a lancé Angela Merkel à son arrivée. Mais le camp allemand est très loin d’être soudé. Outre l’opposition sociale-démocrate (SPD) et écologiste (Grün), plusieurs voix se sont élevées dans la majorité conservatrice pour que le sujet ne soit pas évacué, comme celle du commissaire européen Günther Öttinger, membre de la CDU de la chancelière allemande. Même les alliés libéraux de la CDU, pourtant eurosceptiques, ont pris conscience qu’il faudrait en passer par là : Rainer Brüderle, le chef du groupe FDP au Bundestag, n’a « pas exclu une introduction des eurobonds, une fois le traité d’union budgétaire et la règle d’or adoptés ».

En revanche, le « paquet croissance » qu’exigeait François Hollande comme prix de la ratification du traité d’union budgétaire ne pose guère de problème. « L’ensemble crédible de mesures » capables de stimuler la croissance et l’emploi, selon les termes de Van Rompuy, est quasiment prêt. Le chef de l’État n’aura même pas eu besoin d’adresser à ses homologues le «mémorandum» énumérant ses quatre principales revendications. Trois d’entre elles font l’objet d’un accord politique assez large pour déboucher sur des décisions dès juin. Elles visent à améliorer le financement de l’économie, notamment grâce à une augmentation de capital d’au moins 10 milliards d’euros de la Banque européenne d’investissement, au lancement de «project bonds» (emprunts obligataires gagés sur le budget européen et destinés à des grands travaux transeuropéens dans le domaine des transports, de l’énergie ou du numérique), et enfin par à un meilleur ciblage des fonds structurels encore disponibles (82 milliards d’euros) sur la création d’emplois et le soutien aux PME. Le seul sujet de divergences reste «la question difficile» (dixit Van Rompuy) d’une taxe sur les transactions financières, dont le Royaume-Uni persiste à ne pas vouloir par crainte que cela ne pénalise la City face aux places boursières du reste du monde. En revanche, Paris, Berlin et le Parlement européen sont de longue date en faveur de cette taxe, dont la Commission a calculé qu’elle pourrait rapporter jusqu’à 50 milliards d’euros par an (avec la City…). À défaut d’y rallier les Britanniques, peut-être sera-t-elle seulement instaurée par un groupe d’États volontaires.
Dessins: Nicolas Vadot
N.B.: Article paru ce matin dans Libération et coécrit avec Nathalie Dubois