Notre code civil, binaire, impose qu'un médecin, examinant l'entre-jambe du nouveau-né, coche la mention «mâle» ou «femelle»… Et au besoin la coche d'un coup de bistouri si les organes génitaux du bébé se montrent curieusement «indécis ».
En France, le code civil stipule dans son article 57-1 que «tout enfant doit être obligatoirement rattaché à l'un des deux sexes, masculin ou féminin, et mention doit en être faite dans son acte de naissance qui fixe définitivement cet attribut de son état». Il existe pourtant régulièrement (1) des cas où le médecin peut difficilement se prononcer sur la nature des organes génitaux du bébé: «L'hermaphrodisme concerne une naissance sur 5000 en Europe », affirme Caphi, sur un blog consacré aux «intersexué(e)s» qui décrit, de façon clinique, la manière dont les enfants de sexe «indéterminé» sont traités par la loi… Lorsqu'il y a incertitude, le médecin doit choisir, et consulte au besoin les parents sur ce choix qui est effectué parfois de façon arbitraire, au risque de se tromper. Après quoi, l'enfant subit des traitement chirurgicaux voire hormonaux, qui le font entrer de force dans une catégorie précise (2)… sans être consulté, informé, ni traité autrement que comme un malade à qui on cache ses tares.
Ce fut le cas pour Sylvaine Telesfort: à sa naissance «Sylvaine Télesfort présente une «altération de la formule chromosomique». Alors que les garçons affichent des caryotypes 46 XY et les filles des 46 XX, elle détient une formule infiniment plus rare, le 47 XYY. Son protocole de soin auprès de l'assurance-maladie précise qu'elle est atteinte d'«hermaphrodisme intersexué». Un constat confirmé par une expertise médicale réalisée en 2006 à la demande du tribunal de Paris: Mme Télesfort, précise-t-elle, «présente un état intersexuel».» Au départ, Sylvaine s'appelle Sylvain-René. «Troisième garçon de sa fratrie, il grandit à Beauvais, où son père tient un restaurant», raconte la journaliste Anne Chemin (Le Monde, 2009). «Sylvain aime les jeux de filles et accorde déjà les verbes au féminin. » Bien qu'il-elle ait été enregistré comme mâle, son ambiguité est telle qu'un enseignant l'envoie dans l'école d'en face, chez les filles. A 9 ans, Sylvain a une poussée mammaire incongrue. Son père l'emmène chez un généticien qui prescrit des traitements hormonaux à haute dose. On ne lui demande pas son avis. On n'envisage même pas l'idée que Sylvain-Sylvaine puisse rester dans l'entre-deux…
Il semble obligatoire, en France, de cantonner l'être humain à un sexe ou à l'autre, comme si l'idée d'être «tout à la fois» relevait de la pathologie. Dans la vie, il faut choisir. Il faut même trancher, et tant pis si c'est dans le vif. Impossible, au regard de la loi, d'opter pour l'identité «intersexuelle» car cet état est hors-la-loi, littéralement. Sylvain-Sylvaine se voit donc forcée d'adopter le genre mâle qui va avec les injections (injonctions?) qu'on lui fait subir pendant deux ans avant que, finalement, prenant son destin en main elle décide de choisir son sexe, celui qui lui convient le mieux puisqu'il est impossible en France d'opter pour la troisième voie… A savoir : la «correction» entraîne 30% de mort par suicide…
Dressant la liste des nombreuses cultures qui, dans le monde, ont accordé ou accordent encore le droit de vivre aux personnes dont le sexe est indéterminé, Jürgen Claudia Clüsserath dénonce avec ardeur l'étroitesse d'esprit qui règne dans notre société pseudo-libérée: «Beaucoup de médecins affirment que la société n'est pas encore prête à accepter les hermaphrodites. Mais, et c'est intéressant, le monde médical fait tout ce qui est possible et imaginable pour cacher à l'opinion publique les hermaphrodites et la problématique de l'attribution sexuelle forcée. Il freine ainsi sciemment le processus d'intégration sociale des hermaphrodites sous leur aspect naturel. Il ne se contente pas de bloquer ce processus mais essaye même de revenir en arrière. Il y a 100 ou 200 ans, le terme d'hermaphrodite était plus courant qu'aujourd'hui et figurait même dans le droit commun prussien. Ce qui n'est pas le cas, loin de là, dans nos lois si élaborées.»
Comme pour confirmer ce propos, dans un livre récemment réédité sur Les origines de la sexologie, Sylvie Chaperon consacre une page à la question: entre 1885 et 1891, plusieurs médecins français (Pierre Garnier, Charles Marie-Pierre Debierre et Alexandre Lacassagne) s'en prennent au code civil, et notamment aux articles 57 et 180 du code civil qui portent sur l'identification sexuelle obligatoire des citoyen(ne)s. «Ces médecins proposent d'inscrire la mention S.D. («sexe douteux») dans l'acte de naissance en cas de détermination difficile du fait d'une malformation des organes génitaux. Le «sexe sera sursis jusqu'à la puberté (15 à 18 ans)» où un examen médical statuera sur le sexe véritable de l'individu. Dans les cas très rares d'hermaphrodisme vrai, c'est à dire de double appareil génital interne, l'individu sera réputé sans sexe, anomalie qui devrait autoriser la nullité du mariage. Le tribunal fera alors inscrire définitivement les mentions «homme», «femme» ou «neutre» sur les registres de l'état civil.» Lorsque ces trois médecins proposent de rajouter une option «sexe douteux» dans l'acte de naissance, beaucoup de leurs collègues protestent et s'indignent contre ce qu'ils considèrent comme une forme de marginalisation… «Nous ne voyons pas les avantages de cette combinaison qui placerait dès l'enfance un individu en dehors de la société» proteste le gynécologue Auguste Lutaud. La proposition des trois médecins ne sera donc pas retenue. Dommage.
L'idée d'introduire le troisième sexe dans les actes de naissance fait encore polémique de nos jours, comme s'il était absolument vital d'établir des distinctions nettes entre des catégories dont rien pourtant ne prouve qu'elles soient si étanches, au contraire… Car, au fond, qu'est-ce qui distingue réellement les hommes des femmes? «La loi ne définit pas le sexe et la médecine nous enseigne qu'il s'agit d'une notion plurielle (sexe morphologique, chromosomique, génétique, social…)», avance Philippe Guez, docteur en droit, qui pose la seule et unique vraie question: pourquoi spécifier un sexe dans les actes de l'état civil? Quel intérêt? Dans une société qui lutte contre les discriminations, il ne devrait plus être question d'homme et de femme, mais uniquement d'«individus disposant des mêmes droits et des mêmes devoirs les uns envers les autres»… Bien sûr, la différence sexuelle est à la base des systèmes humains qui visent à la reproduction. Mais dans une société qui a légalisé le concubinage et où la majorité des enfants naissent hors-mariage, à quoi bon désormais faire la distinction entre les sexes puisque l'institution légale du mariage n'est plus celle qui encadre la fécondité? On se marie par amour, maintenant. Et l'amour, qui «n'a jamais connu de loi» lalala, n'a que faire de ces catégories rassurantes, étriquées que sont les contours précis de nos appareils génitaux.
Quant à la nature biologique de nos organes, cela fait longtemps, également, qu’on en a relativisé l’importance: qu’est-ce qu’un homme? Si c’était seulement un pénis, ce serait vraiment triste. Et si la femme n’était qu’un vagin, en tomberiez-vous amoureux(se) ?
Note 1/ Il arrive ainsi qu'on coupe un clitoris (considéré comme hypertrophié !) et qu'on aménage un «sac de peau» artificiel là où le bébé possédait un «vagin en partie refermé» et un «pénis trop petit». A noter qu'une femme avec un gros clitoris ne semble pas être une option envisageable (pas plus qu'un homme avec un pénis trop petit).
Les origines de la sexologie 1850-1900, de Sylvie Chapiron, Petite bibliothèque Payot.
La mention du sexe dans l'état civil, par Philippe GUEZ, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Paris X-Nanterre, Avocat à la Cour (Colloque organisé par le Centre d'études juridiques européennes et comparées -CEJEC- de l'Université Paris X-Nanterre).
Photo sur Liberation.fr : Flickr, CC BY sıɐԀ ɹǝıʌɐſ.