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Libération
Blog «Coulisses de Bruxelles»

La France face au mur des fédérés

Le commandant Allan, homme lige de l’ignoble Rastapopoulos, lance au capitaine Haddock, dans Coke en stock : «Dors-tu avec la barbe en dessous ou au-dessus des couvertures ?» Le résultat recherché est atteint : le capitaine n’arrive pas à fermer l’œil de la nuit, hanté par cette grave question… La zone euro est confrontée à un dilemme de même nature : le fédéralisme, c’est avant ou après la solidarité financière ? Et de la même façon qu’Haddock, elle ne parvient pas à trancher, comme l’a montré
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publié le 23 juin 2012 à 21h17
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h10)
RTR340UG_CompLe commandant Allan, homme lige de l’ignoble Rastapopoulos, lance au capitaine Haddock, dans Coke en stock : «Dors-tu avec la barbe en dessous ou au-dessus des couvertures ?» Le résultat recherché est atteint : le capitaine n’arrive pas à fermer l’œil de la nuit, hanté par cette grave question… La zone euro est confrontée à un dilemme de même nature : le fédéralisme, c’est avant ou après la solidarité financière ? Et de la même façon qu’Haddock, elle ne parvient pas à trancher, comme l’a montré le mini-sommet de Rome qui a eu lieu vendredi après-midi entre les dirigeants allemand, français, italien et espagnol. Le visage fermé, face à la presse, Angela Merkel, Mario Monti, Mariano Rajoy et François Hollande n’ont pu que constater leur désaccord sur ce point fondamental pour l’avenir de l’euro. Pour Berlin, la solidarité, style euro-obligations ou garantie européenne des dépôts bancaires, viendra couronner l’union politique, alors que pour ses partenaires, la fédéralisation sera la conséquence de transferts financiers accrus… Il reste une semaine avant le Conseil européen de Bruxelles des 28 et 29 juin pour parvenir à un compromis.
Chacun reconnaît volontiers que «ce qui a été fait jusqu’à présent n’a pas été suffisant», pour reprendre la formule du président du Conseil italien. L’aggravation continue de la crise interdisant tout déni de réalité : «Pour sortir dans de bonnes conditions de cette crise de la zone euro et de l’économie européenne, davantage d’intégration est nécessaire.» Un diagnostic partagé par la chancelière allemande : «Il ne faut pas moins d’Europe, mais plus d’Europe.» Pour Angela Merkel, il est primordial de «donner un signal que nous allons vers une union politique» afin d’assurer aux marchés que l’euro est irréversible.
RTR340EV_CompC’est sur le tempo que les désaccords sont profonds entre les deux rives du Rhin - Rome et Madrid se tenant à l’écart de la querelle. Pour François Hollande, «il ne peut y avoir de transferts de souveraineté s’il n’y a pas d’amélioration de la solidarité [financière]». Dans son «pacte de croissance», transmis jeudi à ses partenaires, il a ainsi proposé une «feuille de route» sur dix ans afin de «renforcer» l’union monétaire et permettre, notamment, la mutualisation des dettes souveraines. Mais sans attendre, il veut que la zone euro créée une union bancaire (supervision européenne des banques et assurances, fonds de résolution des crises bancaires, garantie commune des dépôts bancaires), lance des eurobills (emprunts communs à court terme) et mutualise la partie des dettes souveraines qui dépasse les 60% du PIB («fonds de rédemption»). «Nous nous sommes retrouvés sur une vision commune de l’Union économique et monétaire avec une feuille de route. A chaque étape, il faudra instaurer de nouveaux instruments», a assuré le président français.
Une vision optimiste, puisque, pour Berlin, il n’est pas question d’attendre dix ans pour mutualiser les souverainetés économiques et budgétaires et démocratiser l’UE : «En même temps que la solidarité, vous avez besoin de contrôles», estime la chancelière, pour qui il faut préalablement «créer une structure politique pour avoir plus de contrôle et de responsabilité». Autrement dit, pas question de donner le code de la carte de crédit allemande sans contrôle des dépenses de chacun. «En Europe, il y a toujours beaucoup d’enthousiasme à mutualiser les fardeaux, mais beaucoup de réserves quand il s’agit de céder de la souveraineté à l’échelle européenne», ironisait-on dans l’entourage de Merkel.
Sur le volet croissance, en revanche, l’accord a été total : François Hollande s’est réjoui que les Quatre aient décidé de mobiliser «1% du PIB européen, c’est-à-dire 120 à 130 milliards d’euros, en faveur de la croissance», ce qui représente une année de budget européen. Cette somme sera atteinte en utilisant les aides régionales en déshérence (55 milliards d’euros), en lançant des project bonds destinés à financer de grands chantier d’infrastructures (la phase pilote portera sur 4,5 milliards d’euros) ou encore en augmentant des moyens de la Banque européenne d’investissement (une capacité supplémentaire de prêts de 60 milliards d’euros). De même, la taxe sur les transactions financières, destinée à créer une ressource nouvelle, verra bien le jour, mais pas à Vingt-Sept - la Grande-Bretagne ne voulant en entendre parler. Il faut rendre à César ce qui appartient à César : ce plan a été élaboré par la Commission européenne, François Hollande l’ayant simplement repris à son compte… La chancelière a reconnu que «le message important aujourd’hui, c’est que la croissance et des finances solides sont les deux côtés de la même médaille. Des finances solides est un prérequis, mais ce n’est pas suffisant si vous ne créez pas aussi de la croissance et des emplois».

Photo: Reuters

N.B.: article paru ce matin dans Libération et cosigné avec mon camarade Eric Jozsef. La «une» était consacrée au «tabou fédéral». Un autre papier porte sur l'Allemagne qui retrouve ses fondamentaux fédéralistes, l'autre à la France qui a toujours eu des difficultés à partager sa souveraineté.