
Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c’est que la Banque centrale européenne (BCE) a réaffirmé, hier, à l’issue de la réunion de son « conseil des gouverneurs », être prête à « tout faire » pour sauver l’euro. Et elle en a les moyens. La mauvaise, c’est que les États actuellement attaqués par les marchés devront payer le prix fort en subissant une cure d’austérité sous le contrôle étroit des institutions européennes. En attendant que cette condition soit remplie, la BCE restera l’arme aux pieds.
Dans un premier temps, les marchés n’ont pas du tout apprécié ce chantage : hier, les taux d’emprunt de l’Espagne et de l’Italie se sont envolés, les bourses ont plongé de conserve dans le rouge, l’euro a perdu trois centimes, le tout, il est vrai, dans un marché sans grand volume à cause des vacances d’été. Mais ce matin, changement de décor. Les investisseurs ont manifestement eu le temps de digérer leur déception de la veille et de comprendre la stratégie déployée par la Banque centrale. Résultat, le marché obligataire s’est clairement détendu (notamment les taux cours), les bourses ont regagné le terrain perdu la veille et l’euro a repris des couleurs…
C’est jeudi dernier, à Londres, Mario Draghi, que le président de la BCE, a haussé le ton face à des marchés que la panique gagnait à nouveau en affirmant que « dans le cadre de son mandat, la BCE est prête à faire tout ce qui est nécessaire pour préserver l’euro. Et croyez-moi, ce sera suffisant ». Les marchés s’étaient alors immédiatement calmés, la puissance de feu de Francfort étant sans limites. Mais, une semaine plus tard, les investisseurs ont eu le sentiment que la BCE avançait à reculons. De fait, Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, a manifestement donné de la voix pour que la BCE ne se lance pas dans la bataille sans de sérieuses garanties de la part des États. Le message de Draghi (ses propos introductifs sont ici) a donc été un tantinet plus compliqué que sa petite phrase de Londres, ce qui explique le temps de retard des marchés.
Ainsi, si l’institut d’émission européen se dit prêt à réactiver son programme d’achat d’obligations sur le marché secondaire (celui de la revente), interrompu depuis mars dernier, c’est seulement et seulement si le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et le futur Mécanisme européen de stabilité (MES) interviennent d’abord sur le marché des obligations. Or, pour que ces fonds rachètent de la dette souveraine, « les gouvernements doivent (d’abord) frapper à la porte du FESF », a expliqué Draghi. Et cette demande implique qu’ils se soumettent à la tutelle de la Commission et de la BCE qui leur imposera un programme de rigueur. L’institut d’émission n’a pas oublié qu’à l’été 2011, il était intervenu sur une simple promesse de Silvio Berlusconi de mener à bien des réformes structurelles et, une fois le calme revenu, le Cavaliere s’était empressé d’oublier ses engagements… C’est seulement si cette « condition nécessaire » est remplie, selon l’expression du patron de la BCE, que Francfort pourra, éventuellement, intervenir en appui du FESF et du MES.
Mario Draghi n’a pas écarté que l’intervention soit « illimitée » afin de ramener les taux à un niveau jugé plus conforme à la réalité économique : « limité ou illimité, nous ne le savons pas ». C’est un changement stratégique de taille, puisque depuis 2010, les achats ont été délibérément limités, la BCE ayant acquis seulement 210 milliards d’euros d’obligations des pays attaqués, ce qui s’est révélé inefficace. La BCE ne menace donc plus les marchés avec un bazooka, mais avec une arme nucléaire.
La BCE est prête à abandonner son statut (de facto et non de jure) de créancier privilégié qui lui permet de ne pas souffrir d’une éventuelle restructuration de dette (comme le FMI). C’est important, car beaucoup d’investisseurs se désengageaient du marché lorsque la BCE intervenait, puisqu’en cas de restructuration, ils supporteraient l’essentiel de la charge. De même, Draghi n’a pas exclu de ne pas « stériliser » les interventions, en clair de ne pas réduire d’autant le montant des crédits accordés aux banques, un mécanisme destiné à ne pas accroitre la monnaie en circulation ce qui est inflationniste. C’est aussi une nouveauté, les éventuelles interventions de la BCE seront concentrées sur les emprunts de courtes durées dont les taux sont, pour les pays les plus exposés, plus élevés que les emprunts à dix ans, une situation anormale qui pousse les pays hors du marché. Enfin, la BCE va étudier d’ici la rentrée d’autres mesures « non conventionnelles » (comme un nouveau prêt aux banques de longue durée à bas taux), ainsi qu’un nouvel assouplissement des garanties exigées des banques en échange de ses prêts (déjà fortement abaissé en juin).
Cette forte conditionnalité à l’intervention de la BCE s’explique par l’opposition de la Bundesbank à toute intervention sur le marché de la dette. En effet, pour elle, cela revient à financer directement les États, ce qui est interdit par les traités européens. Draghi et les autres gouverneurs de banques centrales espèrent que cette douceur suffira à lui faire avaler la pilule. Quoi qu’il en soit, le patron de la Buba est totalement isolé : le président de la BCE a révélé que le principe d’une intervention a été approuvé à l’unanimité des dix-sept gouverneurs de banque centrale et des six membres du directoire « à une exception ». « Nous avons donné une orientation. On comptera les voix au conseil » lorsqu’il faudra activer le programme de rachat de dettes, a-t-il glissé. Au passage, l’Allemagne a obtenu une ultime douceur : la BCE a exclu de prêter directement de l’argent au FESF et au MES, même si les États leur accordent une licence bancaire. « C’est à nous de déterminer » s’ils seraient « éligibles à nos prêts », ce qui n’est pas le cas, a-t-il tranché. La Buba estime que cela reviendrait là aussi à financer les pays…
La BCE a donc renvoyé la balle dans le camp de Madrid et de Rome : à eux d’appuyer sur le bouton nucléaire. Mario Monti s’est engagé à « examiner » les conditions de l’intervention européenne : « un sauvetage, non. Mais des actions d’accompagnement pour éviter que des primes de risque excessives qui coûtent cher à un pays, ce type d’aides, nous devrons l’analyser ». Mariano Rajoy, après avoir fermement exclu hier tout appel à l’aide du FESF, s’est montré aujourd’hui plus conciliant, reprenant à son compte les propos de Monti.
Reste à savoir si les investisseurs vont cesser de « craindre une réversibilité de l’euro », selon l’expression du président de la BCE. Il va tout faire pour alors qu’il en soit ainsi. L’euro « est irréversible » : « il reste, il reste, il reste. Il est inutile de spéculer contre l’euro », a-t-il martelé.
Dessin: Kroll