Est-il normal que le président du Conseil européen des chefs
d’État et de gouvernement participe à des manifestations nationalistes ? Cela
ne semble, en tout cas, pas gêner le Belge Herman Van Rompuy, titulaire du
poste depuis 2010, qui a, comme chaque année, joyeusement pédalé aux côtés de
ses amis « flamingants » (nationalistes Flamands), le 2 septembre
dernier, lors du « Gordel », un parcours à vélo qui fait le tour de
Bruxelles, mais en territoire flamand. Car, le Gordel n’est pas un paisible « événement
sportif et familial », comme a osé le qualifier le premier ministre
francophone, Elio Di Rupo, mais d’une vraie démonstration de force nationaliste
à laquelle participe la quasi-totalité de la classe politique flamande, de l’extrême
droite aux écologistes, sans que cette proximité gêne grand monde. Beaucoup de
Francophones vivent cette ballade comme une véritable agression, puisqu’il
s’agit d’un encerclement symbolique de la capitale belge, francophone à plus de
90 %, mais que la Flandre considère comme sa capitale. Le Gordel, organisé
chaque premier dimanche de septembre depuis 1981, est, de fait, officiellement
destiné à affirmer le caractère flamand de la périphérie bruxelloise : les
Flamands veulent stopper la « tache d’huile » francophone qui petit à
petit gagne la Flandre, la majorité des communes jouxtant Bruxelles étant déjà
essentiellement peuplée de locuteurs non néerlandophone de naissance. Il
s’agissait aussi d’exiger la scission de l’arrondissement bilingue électoral et
judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV), une atteinte à l’intégrité territoriale,
culturelle et politique de la Flandre pour les flamingants.
Pourtant, cette année, le Gordel a perdu une partie de sa
signification, puisque BHV vient d’être scindé comme le réclamaient les
nationalistes flamands, ce qui permet à la Flandre de disposer d’un territoire aux
frontières nettement définies, prélude nécessaire à une éventuelle scission.
Mais, pour les flamingants, ce n’est pas assez : ils estiment que les
« facilités linguistiques » accordées aux Francophones des six
communes de la périphérie bruxelloise qui sont autorisés à s’exprimer dans leur
langue dans leurs rapports avec l’administration devraient être supprimées afin
que la seule langue parlée sur leur territoire soit le flamand. Cette année, ce sont donc les « irréductibles »
qui ont manifesté, ce qui explique qu’il n’y ait eu « que » 30.000
personnes, contre 80.000 il y a deux ans. Ce qui rend d’autant plus choquant la
présence de Van Rompuy, ce « flamingant à visage humain » comme je
l’ai qualifié lors de sa nomination fin 2009. Car derrière la
revendication nationaliste, il y a la question de la solidarité financière
entre la Flandre et la Wallonie et Bruxelles que la quasi-totalité des Flamands
conteste. Or, comment peut-on défendre la solidarité entre les pays pauvres et
riches de la zone euro et la contester chez soi ? Comment peut-on
prétendre incarner les « valeurs européennes » qui passent notamment
par le refus du nationalisme tout en pédalant aux côtés de l’extrême droite la
plus intolérante ? Bref, il y a là une contradiction patente qui affaiblit
gravement le discours « fédéraliste » de Van Rompuy.
Son porte-parole, Dirk Debakker, m’a répondu :
« Herman Van Rompuy a toujours participé au Gordel depuis 30 ans, même en
tant que Premier ministre belge. En sus, il est Rhodien (de Rhodes-Saint-Genèse,
l’une des communes “à facilités”, NDA). L’année prochaine, il y sera de
nouveau. D’ailleurs Di Rupo n’est pas d’accord avec l’interdiction du
Gordel ». Ultime argument : Guy Verhofstadt, l’actuel patron du
groupe libéral du Parlement européen et fédéraliste européen pur jus, « y
participait lorsqu’il était premier ministre ». C’est bien le point :
dès qu’il a endossé ses habits européens, Verhofstadt a cessé de participer au
Gordel. Surtout, il a radicalement évolué, n’hésitant désormais plus à
critiquer les flamingants, ce que n’a jamais fait, de près ou de loin, le président
du Conseil européen depuis qu’il a pris ses fonctions. Manifestement, les dirigeants européens, en nommant Van Rompuy au poste de président du Conseil européen, sont tombés dans le piège habituel, les responsables flamands ayant souvent un discours apaisant pour l’extérieur qui ne correspond guère à celui qu’ils tiennent à l’intérieur. La prochaine fois (au premier semestre 2014) ils devront mieux se renseigner sur la personne qu’ils désigneront.