Pour ranimer leur libido et reprendre confiance en elles, beaucoup de femmes se font augmenter le bonnet. Sont-elles plus satisfaites de leur vie sexuelle après l'intervention? «Pas forcément», répond Dominique Gros, sénologue. La chirurgie ne rend pas plus aimable.
Pendant 35 ans de sa vie, Dominique Gros, sénologue à l'hôpital de Strasbourg, recoit des patientes qui lui montrent leur poitrine, souvent avec gêne, en s'excusant de ne pas avoir deux obus dressés vers le ciel… «Mes seins tombent», disent-elles. Beaucoup consultent pour obtenir une «cure de ptôse», c'est à dire des implants mammaires. Beaucoup sont en détresse. Elles souffrent au point que Dominique Gros n'a presque pas le choix… Il ordonne alors une «reconstruction» qui ne concerne pas que le sein, mais aussi quelque chose de beaucoup plus profond: l'ego. «Pourquoi les femmes donnent-elles tant d'importance à leur physique pour séduire?, demande-t-il. Belles pour être aimées, belles pour être désirées? Sans doute, mais pas seulement. Combien de fois ai-je entendu des patientes me dire: «Je veux refaire mes seins! C'est pour moi, rien que pour moi» Belles pour jouir de sa beauté. Belles pour être simplement regardées, admirées, enviées, jalousées. Belles pour exister dans le regard d'autrui. Belles pour ne pas mourir. Belles pour se trouver belles.»
Après avoir tenté de leur expliquer que la séduction n’est pas une affaire de volume mammaire mais de personnalité, de culture et d’ouverture aux autres, Dominique Gros renonce parfois en soupirant.
Quels sont les résultats de satisfaction concernant la chirurgie esthétique ?
S’agissant des résultats de satisfaction donnés par les chirurgiens quant au bénéfice de leur geste chirurgical, ils sont nécessairement douteux. Etant dans cette affaire juges et parties, leurs réponses peuvent être biaisées. Du côté des patientes, le degré de satisfaction est éminemment individuel. Des chiffres existent ici ou là dans des publications médicales ou sur des sites Internet d’information, mais dans le domaine de la chirurgie de la beauté, vouloir disposer de chiffres objectifs et fiables est utopique. Trop de variables entrent en jeux: techniques chirurgicales, indications de la chirurgie, modalités des enquêtes de satisfaction, spécificités des enquêteurs et des enquêtées…
Certains chirurgiens esthétiques affirment-ils que les patientes ont une vie sexuelle plus intense ? Ou bien est-ce une projection des patientes, qui pensent que cela pourrait améliorer leur vie de couple? D’ou vient cette idée? Par qui est-elle relayée?
La qualité de la vie sexuelle après une chirurgie esthétique du sein n’est pas une question habituellement abordée par les chirurgiens.
Cette qualité ne dépend évidemment pas de la seule modification du volume ou de la forme des seins, même si un changement jugé positif peut participer à un gain d’épanouissement. Beaucoup de femmes pensent que les seins comptent beaucoup pour les hommes et que plus ils en ont à caresser, mieux c’est. Peut-être le pensent-elles chaque fois qu’elles les voient regarder la poitrine des autres femmes. Songez à cet air momentanément idiot que les hommes prennent devant un décolleté un peu profond ou généreux. Cette idée est relayée par l’érotisation ambiante du sein et son omniprésence médiatique dans nos sociétés – érotisation qui me paraît issue d’une réaction inconsciente de l’imaginaire collectif: le sein est un grand tranquillisant et face à une culture de mort il symbolise la vie triomphante. Eros contrebalance Thanatos.
Qu’en est-il de la réalité? Pourriez-vous me donner vos propres chiffres de satisfaction des patientes?
J’ai vu des femmes transformées et épanouies dans leur vie sexuelle, d’autres malheureuses de constater que leur sexualité n’avait aucunement bénéficié de la chirurgie. Je n’ai jamais compté ni fait de statistiques.
S’agissant des chirurgies d’augmentation ou de correction de ptose, c’est là que le taux de satisfaction est beaucoup plus variable et imprévisible. En effet, cette chirurgie ne concerne pas que le confort physique et psychologique, mais toute la femme dans sa vie relationnelle, sexuelle, identitaire.
Les implants mammaires diminuent-ils la sensibilité des seins?
Pour répondre à votre question, il faut donc distinguer deux types de sensibilités: dermique et érogène. Lorsqu'on insère des prothèses remplies d'eau ou de silicone sous la peau des seins, les nerfs de la sensibilité cutanée ne sont ni coupés ni lésés par l'opération. La sensibilité dermique reste donc intacte. En revanche, la sensibilité érogène -qui fait intervenir toute la personne (histoire, rapport à la sexualité, au corps, aux seins, qualité de la relation avec le partenaire)- peut être modifiée par les conséquences possibles de la chirurgie. Si les prothèses ne donnent pas satisfaction à la femme (forme ou volume des seins, coques fibreuses, partenaire indifférent aux «nouveaux seins» ou gêné psychologiquement par la présence des prothèses), la sensibilité érogène peut se réduire, voire disparaître ou même être remplacée par des douleurs au toucher.
Arrive-t-il que les cicatrices rendent le sein trop sensible et que la femme ne supporte plus qu’on y touche?
Par définition, toute intervention chirurgicale peut entrainer une hypersensibilité (hyperesthésie), voire des phénomènes douloureux post-opératoires. Cette hypersensibilité peut être localisée aux deux seins, à un seul, une partie ou sa totalité, ou bien siéger sur une cicatrice. Impossible à prévoir, elle est plus ou moins intense, intermittente ou permanente, passagère ou définitive. L'hyperesthésie peut conduire à ce que j'appelle le «sein interdit», celui qu'il ne faut plus toucher, ni même caresser car cela peut devenir désagréable ou même douloureux. Dans ces situations, il importe de déterminer la cause de la douleur afin de pouvoir y remédier. Celle-ci peut être liée à la chirurgie, mais aussi à l'insatisfaction quant au résultat esthétique.
Avez-vous eu affaire à des femmes qui venaient vous voir après une opération chirurgicale, pour corriger le tir?
Parmi les femmes insatisfaites par leur chirurgie esthétique, les unes retournent voir le chirurgien qui les a opérées, d’autres préfèrent prendre l’avis d’un praticien différent. Ce qui étonne toujours, c’est le caractère infiniment subjectif de l’appréciation des résultats cosmétiques – autant du côté du médecin que de la patiente. Ici, on juge le résultat d’une opération médiocre alors que la femme est très satisfaite; là, on observe une opération très réussie pourtant considérée comme mauvaise par la patiente. J’ai souvenir d’une patiente qui avait une déformation post-opératoire véritablement à peine visible d’un sein, mais qui était la source d’un tourment majeur. Elle n’osait plus se mettre nue devant son mari et n’a eu de cesse de trouver un chirurgien qui accepte de l’opérer pour corriger cette imperfection qui lui était insupportable.
Existe-t-il des services spécialisés dans l’après-opération? Quel pourcentage de femmes doivent retourner au bloc pour essayer de retrouver un équilibre?
Il n’existe pas de tels services. Il n’y a pas non plus de statistiques nationales concernant le taux de reprises chirurgicales. D’un chirurgien à l’autre, ce taux peut varier en fonction de son savoir-faire, son expérience, ses techniques. Il peut aussi varier en fonction du type de patientes retenues pour l’opération. Si un chirurgien est très rigoureux et attentif à ne pas opérer des femmes qui risquent d’être insatisfaites car elles attendent de l’intervention un bénéfice improbable (améliorer une relation conjugale, guérir un mal-être existentiel…) son taux de satisfaction sera meilleur que celui d’un confrère qui accepte d’opérer toutes les femmes qui viennent le consulter.
Quels sont les sujets les plus fréquents de plainte que vous pouvez entendre concernant une opération chirurgicale?
Dans les suites d’une opération esthétique, les motifs de plainte quand ils existent concernent surtout l’apparence des seins (forme, volume ou symétrie, jugés non satisfaisants). Viennent ensuite les manifestations douloureuses qui ont pu apparaître dans les suites de l’intervention – lesquelles ne sont pas nécessairement en rapport avec la chirurgie.
Quand vous dites à une femme qu’elle a de beaux seins et qu’il n’y a pas besoin de l’opérer, est-ce qu’elle vous entend?
Les unes entendent, d’autres non. Tout dépend de la façon dont le désir de chirurgie s’inscrit dans l’histoire de chacune. Comment et pourquoi est-il né, qu’y a-t-il derrière, de quoi est-il le signe? Dans quel contexte se situe-t-il? Est-ce le désir d’une femme de 40 ans qui regrette sa poitrine d’antan jugée plus ferme, moins affaissée, mais qui en même temps n’accepte pas de vieillir? Est-ce celui d’une autre qui se sent délaissée par son compagnon?
Même s’il est injustifié aux yeux du médecin, quand une femme a le sentiment de ne pas avoir de beaux seins et que ce sentiment s’inscrit au plus profond d’elle-même, elle risque de devenir sourde à toute parole qui n’abonde pas dans son sens. Tout conseil d’abstention chirurgicale est mal vécu. Tout interlocuteur (mari, sœur, médecin…) qui cherche à la persuader qu’elle n’a pas besoin de chirurgie est accusé de ne pas la comprendre et de minimiser son mal-être.
Vous est-il arrivé de voir venir des couples en consultation? Quelle était la position de l’homme? En général, les femmes qui viennent vous voir le font seule et en secret? Pour faire une surprise à leur compagnon? Ou pour répondre à un besoin personnel?
Les femmes viennent consulter plutôt seules. D’autres sont accompagnées par une amie, une sœur ou même la mère quand il s’agit d’une adolescente. Quelques-unes font la démarche sans en informer leur conjoint, mais réaliser le geste chirurgical à son insu demeure un exercice délicat… D’autres consultent contre l’avis du compagnon ou font la démarche sur sa suggestion et pour lui faire plaisir. Le plus souvent, l’homme déclare aimer les seins de sa femme tels qu’ils sont, mais elle ne le croit pas.
On a souvent peur de faire mal quand on touche une poitrine siliconée… Comment réagissent la majorité des hommes face à des seins refaits?
Oui, il y a toujours une crainte de la part d’autrui de toucher les seins d’une femme comportant des prothèses – faites en silicone ou avec une autre matière. Cette crainte est liée au sentiment d’étrangeté induit par la présence d’un corps étranger et surtout à la peur d’abimer la prothèse et/ou de faire mal. En vérité, les prothèses sont solides. Le fait de les tripoter même vigoureusement ne risque pas de les endommager, voire de les faire exploser... Mais, les hommes demeurent toujours craintifs face aux prothèses mammaires.
Arrive-t-il souvent que les hommes n’osent plus toucher les seins de leur compagne?
Bien sûr. J'ai très souvent expliqué aux conjoints qu'ils n'avaient rien à craindre et que leurs gestes ne risquaient pas de léser les prothèses. Je les ai toujours encouragé à «se servir» de ces nouveaux seins. De leur côté, les femmes craignent aussi – surtout au début – d'être touchées aux seins, soit parce qu'elles appréhendent un effet sur leurs prothèses, soit parce que leurs seins sont devenus sensibles ou même douloureux.
Avec les prothèses, il y a toujours un travail nécessaire d’adoption des nouveaux seins autant de la part de la femme que de l’homme. Le fait de les caresser participe à cette adoption.
Arrive-t-il souvent que les hommes trouvent le contact désagréable?
Absolument et je dirais même que c’est très fréquent. Ceux qui trouvent ce contact désagréable disent que la consistance n’est plus la même, que ce n’est plus naturel…
Savez-vous comment les hommes, en France, perçoivent une femme aux seins siliconés?
Je crois qu'il y a souvent de la part des hommes, mais aussi des femmes, une espèce de mépris pour celles qui sont «obligées» (les pauvres…) de passer par la chirurgie esthétique pour avoir l'air belles ou jeunes. L'expression «seins siliconés» ou bien «femmes siliconées» n'est pas utilisée de façon très flatteuse. Cette réaction n'est pas limitée à la chirurgie esthétique des seins. Songez à la façon dont les hommes ou les femmes disent «Elle s'est faite tirée ou liftée…». L'expression sili-conne témoigne de ce mépris.
Pourquoi les femmes pensent-elles que la séduction est une affaire d’apparence physique? Pourquoi manquent-elles autant de confiance dans leur capacité d’être désirées?
Personne n’ignore que la séduction fait surtout intervenir le regard, le verbe, le charme, le caractère… Pourtant, beaucoup de femmes mettent en avant l’apparence physique comme atout majeur.
Il y a la force du culturel et de la mode avec son fantasme (proche du désir d’immortalité) du corps glorieux, entretenu par les prouesses de la chirurgie esthétique – un corps toujours jeune, toujours sain, toujours beau.
En tant qu’homme, je crois profondément que la beauté du corps - celle des seins, des jambes ou des yeux, ne suffit pas à donner le bonheur à une femme, ni l’amour, ni l’équilibre intérieur. La chirurgie esthétique et le bistouri ne l’aident pas non plus à être plus heureuse, ni à mieux jouir. L’harmonie sexuelle et le plaisir dépendent d’abord de la qualité de la relation du couple, du respect mutuel, de la douceur des gestes et des préliminaires, de la disponibilité à l’autre, du rapport au corps et au sexe. A chaque fois, le plaisir sexuel est une invention partagée dans la générosité du don. La technique, les mensurations, les positions, ne sont que des compléments et des accessoires peut-être utiles, mais toujours secondaires. Ni le volume des seins, ni la taille du pénis ne provoquent l’orgasme.
En tant que médecin, chaque fois que j’ai perçu qu’une patiente attendait de la chirurgie un bénéfice existentiel qu’elle ne lui apporterait jamais j’ai toujours tenté de la dissuader d’entreprendre ce geste. Je n’y suis pas arrivé autant que j’aurais voulu. La pratique de la médecine m’a appris qu’il n’était pas toujours facile d’aider les autres à être heureux. Chacune et chacun possède sa définition du bonheur et des moyens pour y parvenir. Et cette définition, chacune et chacun y est terriblement attaché.
Pour en savoir plus, lire les ouvrages de Dominique Gros : Le sein dévoilé, Stock, 1987. Les seins aux fleurs rouges, Stock, 1994. Cancer du sein. Entre raison et sentiments, Springer, 2009