
Grâce au patron de LVMH, mais aussi à cause de la proximité
des élections municipales du 14 octobre, le débat sur la fiscalité belge, l’une
des plus déséquilibrées de l’Union européenne, s’est enfin réveillé : ainsi, la
semaine dernière, près de 10.000 personnes ont défilé dans le quartier huppé
d’Ixelles à l’instigation de la FGTB, le syndicat socialiste, afin de protester
contre les réfugiés fiscaux. Car si le travail, peu mobile par nature, est
surtaxé outre-Quiévrain, le capital échappe largement, voire totalement à
l’impôt. Ce n’est pas pour rien que la Belgique apparaît comme un eldorado pour
quelques milliers de riches Français soucieux d’échapper à l’impôt tricolore
jugé confiscatoire.
« Le système fiscal belge vise la masse à la différence
de la France où la moitié des foyers fiscaux sont exonérés de l’impôt sur le
revenu », résume Thierry Afschrift, professeur de droit fiscal à
l’Université libre de Bruxelles et avocat. En clair, « on prend beaucoup à
beaucoup de monde », c’est-à-dire à ceux qui travaillent, afin de financer
un État dont la dépense publique rapportée à son PIB est encore supérieure à
celle de la France, c’est dire.
Ainsi, un foyer fiscal doit gagner moins de 6430 euros par
an pour échapper à l’impôt. Ensuite, ça progresse brutalement, d’autant qu’il
n’existe pas de quotient familial (juste un abattement par enfant à charge) : 25 %
pour la tranche qui va de 0 à 7900 euros (au-delà des premiers 6430 euros
d’abattement), 30 % de 7900 à 11.240, 40 % de 11 240 à 18 730,
45 % 18730 à 34 330 et 50 % au-delà. En France, la tranche
maximale est de 41 % et ne débute qu’à 78 830 euros. « Autrement
dit, quelqu’un qui gagne 1500 euros par mois est déjà dans la tranche à 45 % »,
explique Afschrift. On comprend dès lors qu’à la différence de la France, la
TVA représente une rentrée fiscale inférieure à celle de l’impôt sur le revenu.
En revanche, il n’existe ni impôt sur la fortune, ni de taxe
sur les plus-values mobilières (seuls les intérêts et dividendes sont taxés
entre 21 et 25 %), l’imposition des donations est symbolique, la fiscalité
immobilière est particulièrement sympathique (les loyers ne sont pas imposés, seule
la valeur cadastrale remontant à 1975 l’est ; les plus-values immobilières
échappent à tout impôt si le bien est détenu plus de 5 ans -30 ans en France),
etc. « Il y a plein de trous béants dans la fiscalité belge », ajoute
Afschrift : ainsi les SICAV et les contrats d’assurance sans revenus
garantis échappent à toute imposition.
Cette fiscalité accommodante pour les plus
riches bénéficie aussi aux sociétés, du moins les plus grosses d’entre elles.
Ainsi, alors que le taux d’imposition des bénéfices est théoriquement de 34 %,
le taux réel de l’impôt des principales sociétés établies en Belgique ne
dépasse pas… 10 %. Un système complexe, inventé par le libéral Didier
Reynders, alors ministre des Finances et aujourd’hui ministre des Affaires
étrangères, celui des « intérêts notionnels », leur permet de réduire
massivement leurs impôts. Selon l’économiste Jean Hindriks, le taux effectif
moyen d’imposition a baissé de moitié en dix ans, passant de 19,94 % à 9,80 %.
Beaucoup de sociétés européennes ont donc leur siège (ou des filiales) en
Belgique, dont EDF…
Résultat : 75 % des impôts sur les revenus (donc hors
TVA) proviennent du travail, ce que l’ensemble des partis politiques belges,
hormis les libéraux francophones et néerlandophones, s’accorde à trouver déséquilibré.
Si on ajoute à cela des charges sociales plus importantes qu’en France, la
fiscalité belge n’encourage ni le travail, ni l’embauche, d’où un taux de
chômage structurel important. Thierry Giet, le patron du PS, vient de proposer
une baisse du coût du travail contre une hausse de la fiscalité du capital.
Mais les libéraux refusent tout net et menacent de quitter la coalition
gouvernementale dirigée par le premier ministre socialiste francophone Elio Di
Rupo. Une crise que nul ne peut se permettre alors que la N-VA, dans
l’opposition, et qui réclame l’indépendance de la Flandre, est donnée à plus de
40 % dans les sondages… Une N-VA elle aussi favorable à un rééquilibrage
de la fiscalité belge.
Cela étant, la pression européenne va s’accroitre sur le
petit Royaume : alors qu’elle partage la même monnaie que seize autres pays,
est-il encore possible qu’il se comporte en paradis fiscal afin d’attirer les
capitaux de ses voisins ? La réponse ne fait aucun doute et la Belgique le
sait. La flibuste fiscale jette sans doute ses derniers feux.