
Ce document de huit pages liste les réformes nécessaires
pour apporter une réponse « politique » à une crise dont la
« dimension politique » a longtemps été niée. Il s’agit, même si le
mot n’est pas prononcé, de dessiner ce qui pourrait devenir, à terme, une
fédération dont la dimension démocratique est clairement affirmée. C’est le
seul moyen, pour les promoteurs de ce rapport, de redonner une visibilité au
projet européen et de dissiper les doutes sur la pérennité de la monnaie
unique.
L’exercice était difficile comme le montre le fait que
certaines propositions n’aient réuni que « certains » États ou « la
plupart » d’entre eux, sans qu’il soit précisé lesquelles. Pourtant, il ne
réunissait qu’un nombre limité de pays (onze sur vingt-sept). C’est d’ailleurs pourquoi
une « large majorité » du groupe Westerwelle est favorable à ce qu’à
l’avenir les traités européens puissent être modifiés non plus à l’unanimité,
mais à la majorité à condition qu’elle représente une part
« significative » des États et des citoyens. De même, ils sont tous
d’accord pour que des « intégrations différenciées » soient mises en
place.
Le rapport ne cache pas que l’urgence est d’intégrer d’abord
la zone euro et les États qui veulent la rejoindre (les « pré-in »).
Pour la première fois, il est clairement affirmé (par la plupart des membres du
groupe) que le contrôle parlementaire devrait être réservé aux seuls députés
européens de la zone euro dès lors qu’il s’agit de décisions (comme les grandes
orientations de politiques économiques ou les recommandations de la Commission
en matière économique et budgétaire) qui s’appliquent aux seuls États membres
de l’union économique et monétaire. Et dès lors qu’il s’agit de questions strictement
budgétaires, les parlements nationaux devraient aussi être impliqués :
l’idée est de créer un « comité permanent » réunissant des
représentants du Parlement européen et des assemblées nationales qui serait
chargé de surveiller la Commission et l’Eurogroupe (les ministres des Finances
de la zone euro).
Le rapport réclame un nouveau renforcement des instruments
permettant de s’assurer que les États tiennent leurs engagements budgétaires et
soutient la création d’une union bancaire contrôlée par la BCE. Sur ce point,
seuls « certains » États souhaitent « un mécanisme commun de
garantie des dépôts et de résolution des crises bancaires ». Tous, en
revanche, sont d’accord pour transformer le Mécanisme européen de stabilité
(MES) en « Fonds monétaire européen » doté de pouvoirs renforcés.
Plusieurs pays veulent aller plus loin en mutualisant les dettes publiques.
Le rapport estime que l’Union doit peser davantage dans le
monde. En particulier, il propose qu’elle siège en tant que telle dans les
« organisations internationales », décide davantage à la majorité
qualifiée en matière de politique étrangère et que le ministre des Affaires
étrangères de l’Union chapeaute clairement les commissaires qui jouent un rôle
dans le champ de la politique étrangère, mette en place une politique
soutenable de l’énergie et communautarise les relations extérieures dans ce
domaine. Dans le domaine de la défense, ils souhaitent qu’une « industrie
européenne de la défense » voit le jour notamment par la création d’un
marché unique des projets d’armement, et qu’une « armée européenne »
soit créée (une option défendue par « certains » États seulement).
Dans le domaine de la politique d’immigration, les ministres des Affaires
étrangères du groupe voudraient voir émerger un corps de garde-frontières
européens qu’accompagnerait la mise en place d’un vrai « visa
européen ».
Au chapitre purement institutionnel, outre l’extension du
vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres, l’enceinte où
siègent les États membres, et des postes de présidents permanents de ses
différentes formations, le rapport milite pour une extension des pouvoirs du
Parlement européen. En particulier, il lui reviendrait de désigner le président
de la Commission qui serait la tête de liste du parti qui a remporté les
élections européennes. Au sein de la Commission, dans un premier temps, une
hiérarchisation des postes serait mise en place entre commissaires
« seniors » et « juniors ». Certains États souhaitent que
le président de la Commission soit en même temps président du Conseil européen
(une possibilité ouverte par les actuels traités). À plus long terme, une
partie des États veulent que le président de la Commission soit élu au suffrage
universel (le gouvernement allemand défend cette hypothèse) et qu’il puisse
librement choisir son « gouvernement », que le Parlement européen ait
le droit d’initiative législative et, enfin, que le Conseil des ministres se
transforme en Sénat des États.
On notera un absent de taille dans cet ensemble de
propositions ambitieuses : le budget européen qui est pourtant la clef du
futur européen…
Ce rapport se retrouvera en grande partie dans le texte que
les « quatre présidents » sur l’avenir de la zone euro (président de
la Commission, du Conseil européen, de l’Eurogroupe et de la Banque centrale
européenne) vont soumettre en décembre prochain aux chefs d’État et de
gouvernement. On aurait tort de croire que ces rapports resteront lettre morte.
La chancelière Angela Merkel a déjà prévenu François Hollande, en juin, qu’elle
demanderait, sans doute d’ici la fin de l’année, la convocation d’une
« convention européenne » réunissant parlementaires nationaux et
européens et représentants des États membres afin de préparer une réforme des
traités. Elle est en tous les cas prête à organiser un référendum chez elle,
comme l’exigera sans doute le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe.
La rapidité avec laquelle les pièces du puzzle du futur européen se mettent en place souligne de façon criante l’absence de la France qui préfère se déchirer sur un traité qui n’est que la condition sine qua non de cet approfondissement et non une alternative.
Photos: Reuters