
Cette démonstration, qui n’est pas une
première depuis le début de la crise grecque (Merkel a souvent été caricaturée
en Hitler), est intéressante par ce qu’elle révèle de la mentalité locale ou
plutôt d’une certaine mentalité pour ne pas généraliser. Car on peut chercher
dans les autres pays en difficulté financière, que ce soit au Portugal, en
Irlande, en Espagne, en Italie ou à Chypre, on ne trouve nulle part de telles
démonstrations de germanophobie délirantes. Ces pays souffrent, autant que la
Grèce pour certains, mais aucun n’impute la responsabilité de sa situation à
l’Allemagne ou à un autre pays ou à la main de l’étranger.
C’est ce qui distingue radicalement la Grèce
de ses partenaires : une partie de la population, certes encouragée par
ses politiciens, préfère rendre l’étranger responsable de ses problèmes plutôt
que de se remettre en question. Il est vrai que le bouc émissaire était connu des grecs
anciens (« bouc à Azazel », une expression venant de l’hébreu me précise-t-on de la régie). Ainsi, au printemps 2010, le vice-premier
ministre grec, le socialiste Theodore Pangalos, a rappelé que l’Allemagne
n’avait jamais payé ses dettes de guerre à la suite de l’occupation nazie du
pays (qui fut une horreur) : « Ils ont pris
les réserves d’or de la Banque de Grèce, ils ont pris l’argent grec et ne l’ont
jamais rendu. C’est un sujet qu’il faudra bien aborder un jour ou
l’autre ». En décembre de la même année, le secrétaire d’État
aux finances, Philippos Sahinidis, a chiffré la dette allemande envers
son pays à 162 milliards d’euros. Bref, l’Allemagne doit payer pour aider la
Grèce, car c’est elle qui est débitrice : à elle d’effacer l’ardoise
grecque. Cette dette est contestée, mais peu importe, le sujet n’est pas là.
Car il ne viendrait jamais à l’esprit de la France ou des Pays-Bas d’invoquer
une quelconque dette de guerre de l’Allemagne pour expliquer leurs problèmes
économiques (rappelons que Berlin n’a quasiment payé aucune réparation de
guerre pour éviter un nouveau Versailles). S’il y a un problème de la zone euro, il y a aussi un problème grec.

Aujourd’hui que les marchés ont brûlé ce
qu’ils ont aimé (mais les marchés sont comme ça), les Grecs doivent payer
l’addition. C’est désagréable, nul ne le conteste. Pas plus que personne ne
conteste que la potion administrée ne l’est pas forcément avec douceur, mais la
zone euro n’a pas l’expérience de ce genre de situation et a sans doute fait
des erreurs en exigeant trop d’un pays sans État. Tout comme l’Allemagne, qui a
rechigné à aider la Grèce au début de la crise, a sans doute concouru à son
aggravation.
Mais la zone euro et l’Allemagne ont
finalement répondu présents : 240 milliards d’euros d’aide (sous forme de
prêts) qui ont permis à la Grèce d’honorer ses échéances (elle importe quasiment
tout ce qu’elle consomme, notamment l’énergie), auxquels se rajoutent plus de
50 milliards d’obligations grecques rachetées par la Banque centrale
européenne, la plus grande restructuration de dettes de toute l’histoire
moderne (l’Argentine et la Russie ont été dépassées), 15 milliards d’euros
d’aide financière sur deux ans, une assistance technique (européenne et
bilatérale dont allemande) sans précédent pour aider à la construction d’un État
moderne, etc.
L’alternative ? Il n’y en pas de moins douloureuse. Les
Grecs, dans leur très grande majorité, ne veulent d’ailleurs pas quitter la zone
euro, car ils savent qu’une faillite pure et simple serait infiniment plus
douloureuse que le traitement qu’ils subissent. Ils passeraient de l’assistance
financière aux programmes d’aide au développement, voire à l’assistance
humanitaire, comme le soulignent ses partenaires. Une autre solution serait certes
de payer pour la Grèce en n’exigeant rien en retour, ce qui est l’assurance que
le pays serait pris en charge par l’ensemble des citoyens européens pour
l’éternité : l’ancien premier ministre, George Papandreou a lui-même
reconnu que son gouvernement avait menti pendant deux ans en votant des
réformes qu’il n’appliquait que très partiellement (hors la baisse des salaires
publics et des retraites…), ne cherchant qu’à préserver la rente dont bénéficie
l’oligarchie locale.
En se rendant à Athènes, dans un geste spectaculaire, la
chancelière reconnaît les efforts accomplis par le gouvernement Samaras et vient
affirmer qu’elle ne souhaite pas (plus ?) la sortie de la Grèce de la zone
euro, alors que son opinion publique y reste favorable à (comme l’opinion
française). Alors, brandir des drapeaux nazis est non seulement indigne, mais
imbécile et ne peut qu’envenimer la situation : les Allemands, dont la
démocratie est l’une des plus exemplaires du monde, ne vont guère goûter d’être
ainsi ramené une nouvelle fois au nazisme par un pays qui n’est pas un exemple de démocratie. On peut se rassurer en pensant
qu’il n’y a finalement eu que 25.000 manifestants et une poignée de crétins
brandissant des drapeaux nazis (dans un pays qui a envoyé un groupuscule
néonazi au Parlement, ce qui est savoureux). À tout le moins, cela devrait
encourager la Grèce à se doter d’une législation punissant ce type d’appel à la
haine.
A lire, le dernier billet de Nikolas Bloudanis (en français, pas d’excuse).
Photos: Reuters