
Les indépendantistes flamands de la N-VA ont remporté leur pari : rafler la mairie d’Anvers, la première ville de Belgique, et s’implanter localement en Flandre, le dernier échelon qui manquait à leur tableau de chasse (après le régional et le fédéral). Les résultats (non définitifs) montrent qu’une vague « jaune » (la couleur de la N-VA) a déferlé sur la Flandre, la région la plus peuplée et la plus riche du Royaume.
Les Francophones de Belgique, qui espéraient avoir calmé les revendications
flamingantes en acceptant en décembre 2011, une énième réforme de l’État donnant
une plus grande autonomie aux trois régions du pays, qu’ils estimaient pourtant
inacceptable quelques mois auparavant, en sont pour leur frais. Le gouvernement
dirigé par le socialiste francophone Elio Di Rupo (qui réunit tous les partis
sauf la N-VA et les écologistes) va être extrêmement fragilisé. Surtout, les
élections législatives de juin 2014 s’annoncent périlleuses pour l’unité de la
Belgique, la N-VA ayant la capacité d’obtenir la majorité absolue en Flandre et
donc de mener à bien ses projets sécessionnistes. « C’est un tournant dans l’histoire », a d’ailleurs clamé Bart
De Wever, 41 ans, le leader charismatique de la N-VA.
La bataille d’Anvers était la mère de
toutes les batailles de ces communales : Bart De Wever a fait le pari, risqué,
de s’emparer de cette ville dirigée par les socialistes depuis 80 et fief de
l’extrême droite indépendantiste du Vlaams Belang. S’il perdait, cela aurait
été le premier accroc de son ascension fulgurante qui a débuté en 2003 grâce à
son alliance avec les chrétiens-démocrates flamands du CD&V (rompue en
2008) : parti de presque rien, il a en effet permis à la N-VA de devenir
le premier parti flamand lors des législatives de 2010 (avec 28 % des voix en
Flandre). Tout comme Jacques Chirac s’est emparé de Paris pour conquérir le
pouvoir suprême, De Wever estimait qu’il lui fallait conquérir Anvers pour
« changer la Belgique ». Hier soir, Bart De Wever est apparu à la
fois aminci - il est passé en quelques mois de 142 kg à 83 kg - et triomphant :
avec 38% des voix, il obtient 23 sièges sur 55 (contre un en 2006),
ce qui devrait lui permettre de former une majorité. Le VB est, lui, laminé,
passant de 33,5 % à moins de 10 % des voix.
Ailleurs en Flandre, la N-VA
obtiendrait entre 20 et 30 % des voix, ce qui n’était nullement évident dans un
scrutin fortement marqué par de forts enjeux locaux. Cette percée était
essentielle pour conforter l’assise du parti de Bart De Wever, une partie non
négligeable des compétences, en Belgique, relevant du niveau communal. Les
partis traditionnels (les socialistes du SPA, les libéraux du VLD et les
chrétiens démocrates du CD&V), eux, continuent leur descente aux enfers,
bien loin de leurs scores de 2006. La N-VA, portée par ses revendications indépendantistes
et ses attaques antisystème, a sans aucun doute aussi tiré bénéfice d’être le
seul parti d’opposition au niveau fédéral (avec les écologistes flamands et
francophones), bien qu’il fasse parti du gouvernement flamand.
En Wallonie francophone, les électeurs
n’ont pas changé leurs habitudes en votant massivement pour les socialistes,
perçus comme les meilleurs défenseurs de l’unité de la Belgique et de l’État
social, ce qui leur permet de conserver les principales villes qu’ils
contrôlent. Et ce, en dépit des mesures d’austérité décidée par le gouvernement
Di Rupo. Cette fidélité à l’égard de la gauche francophone va accentuer la
fracture entre le nord et le sud du pays : en Flandre, la droite confirme
qu’elle est quasi-hégémonique alors qu’en Wallonie et à Bruxelles, la gauche reste
majoritaire. Surtout lorsque l’on sait qu’une grande partie du vote
indépendantiste est motivé par le rejet du « système socialiste »
francophone accusé d’être clientéliste et d’empêcher toutes les réformes
structurelles exigées par le nord (en particulier la baisse des dépenses
publiques).
Quelles vont être les conséquences pour
l’actuelle majorité ? Olivier Maingain, le président des Fédéralistes
démocrates francophones (FDF) estime que « c’est pour Elio Di Rupo un
échec personnel, qui prouve que le gouvernement actuel n’a pas réussi à calmer
les appétits des nationalistes flamands ». Mais, dans une telle
conjoncture, il n’est de l’intérêt d’aucun parti de précipiter des élections
législatives, celle-ci ne pouvant que se traduire par un raz-de-marée jaune. Le
risque est que les partis traditionnels flamands courent derrière les
revendications indépendantistes de la N-VA, une stratégie qui leur a pourtant
si peu réussi jusque-là. La Belgique n’a jamais paru aussi fragile.
Dessin: Nicolas Vadot