
Dans cet entretien, Hollande dit son fait à
l’Allemagne d’Angela Merkel sans la citer directement : « les
plus empressés à parler de l’union politique sont parfois les plus réticents à
prendre les décisions urgentes qui la rendraient pourtant
incontournable », balance-t-il, vachard. Néanmoins, bon prince, il
reconnaît que, « plusieurs fois, dans le passé, les Allemands
ont fait sincèrement des propositions sur l’union politique. Elles n’ont pas
été saisies ». Une façon de dire que, cette fois, ce n’est pas forcément le
cas. « Aujourd’hui, nous sommes en phase. La France défend
l'«intégration solidaire» : chaque fois que nous franchissons un
pas vers la solidarité, l’union, c’est-à-dire le respect des règles
communes autour d’une gouvernance, doit progresser ». Pour la France,
il n’est donc pas question, par exemple de donner le droit au commissaire
européen aux affaires économiques et financières de retoquer un budget national
qui ne respecterait pas les engagements européens comme vient de le proposer
Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand, soutenu par Angela
Merkel, sans créer auparavant de la solidarité entre les États membres.
Le chef de l’État comprend certes le point de
vue allemand : « qui paie doit contrôler, qui paie doit sanctionner.
Je suis d’accord », et ce, d’autant plus que « nous participons tous
à la solidarité (dans le cadre du MES), pas seulement les
Allemands ! ». Mais, pour lui, le fouet ne doit pas être le seul
incitant à respecter le règlement intérieur de la monnaie unique :
« si nous ne donnons pas un nouveau
souffle à l’économie européenne, les mesures de discipline ne pourront trouver
de traduction effective. Le retour de la croissance suppose de mobiliser des
financements à l’échelle de l’Europe, c’est le pacte que nous avons adopté en
juin, mais aussi d’améliorer notre compétitivité, et enfin de coordonner nos
politiques économiques. Les pays qui sont en excédent doivent stimuler leur
demande intérieure par une augmentation des salaires et une baisse des
prélèvements, c’est la meilleure expression de leur solidarité. On ne peut pas
infliger une peine à perpétuité à des nations qui ont déjà fait des sacrifices
considérables, si les peuples ne constatent pas, à un moment, les résultats de
leurs efforts. Aujourd’hui, ce qui nous menace, c’est autant la récession que
les déficits ! » Pour le chef de l’État, il faut conclure « un
compromis entre le désendettement et la croissance ». En clair, Berlin,
qui a d’ailleurs commencé à le faire, doit laisser filer ses salaires afin de
soutenir ses partenaires. Un véritable crime de lèse-majesté, l’Allemagne
n’aimant guère qu’on lui fasse la leçon même si elle s’est montrée experte dans
l’art de la faire aux autres… Hollande ne s’arrête pas en si bon chemin :
« l’union budgétaire doit être parachevée par une mutualisation partielle
des dettes, à travers les eurobonds », dont le gouvernement Merkel vient
une nouvelle fois, là aussi, de rejeter le principe.

Pour le reste, il estime que les élections européennes de juin 2014
(qui auront lieu au moment du centenaire du début du premier conflit mondial,
quel symbole !) seront le cadre naturel du débat institutionnel à
venir : « l’enjeu
de cette consultation, ce sera l’avenir de l’Union. C’est la condition pour
mobiliser les peuples et augmenter les taux de participation autour d’un vrai
débat. J’espère que des partis européens présenteront leurs propositions aussi
bien en termes de contenu, de cadre institutionnel que de personnalités, pour
les porter notamment à la présidence de la Commission européenne ».
François
Hollande, dans ce premier entretien consacré à l’Europe, place l’Allemagne
devant ses responsabilités : la France est prête à la suivre sur la voie d’une
union politique qui se traduira pas de nouveaux partages de souveraineté, mais
seulement si cela se traduit par une solidarité forte entre les États. Sinon,
l’Europe prend le risque « de ne plus être aimée. De n’être regardée au
mieux que comme un guichet austère, où les uns viendraient chercher des fonds
structurels, d’autres une politique agricole, un troisième un chèque, au pire
comme une maison de redressement ». La balle est désormais dans le camp
allemand.
Photos: Reuters