
« Les chefs d’État et de gouvernement ont passé une partie de la nuit de jeudi à vendredi, entre 19 heures et 2 heures du matin, à se chamailler pour finalement reconnaître qu’il fallait bien lancer l’union bancaire le 1er janvier 2013 comme ils l’avaient décidé le 29 juin et que la Commission avait bien fait son boulot puisqu’ils ont accepté l’essentiel de sa proposition du 12 septembre » (lire ici), ironisait un diplomate européen, hier après-midi, à l’issu du Conseil européen. De fait, comme l’a proposé Michel Barnier, le commissaire chargé du marché unique, l’union bancaire montera en puissance entre janvier et décembre 2013 et, dès 2014, la Banque centrale européenne (BCE) supervisera les quelque 6000 banques de la zone euro, sans exception, avec l’assistance des superviseurs nationaux (en général, les banques centrales). Alors, tout ça pour ça ?
- Quelle était la nature des désaccords ?
L’union bancaire n’est pas une petite affaire : il
s’agit, comme on le dit à l’Élysée, de confier à une autorité supranationale
indépendante le contrôle de toutes les banques de la zone euro. Il est donc
normal qu’un tel abandon de souveraineté « suscite des questions »,
comme nous l’a déclaré Michel Barnier : « vu le nombre d’objections
que j’ai entendu lors de la réunion informelle des ministres des Finances à
Chypre, le 14 septembre, j’ai su qu’il faudrait revenir devant les chefs d’État
et de gouvernement pour trancher ». En particulier, le ministre allemand
des Finances, Wolfgang Schäuble, a fait valoir que la date de 2013 était
intenable et qu’un contrôle européen de toutes les banques ne pouvait être
envisagé. Pour lui, seules les banques systémiques doivent dépendre de la BCE,
soit seulement 10 % des banques allemandes (et 100 % des Françaises…).
« Lors de la bilatérale entre François Hollande et
Angela Merkel, jeudi après-midi, on a été surpris de constater que la
chancelière n’était demandeuse de rien de précis alors que le chef de l’État
était prêt à préciser le calendrier et le nombre de banques couvertes »,
raconte un témoin de la rencontre. « En réalité, le débat a été
particulièrement délicat avec les pays non membres de la monnaie unique qui
veulent participer à l’union bancaire », en particulier les pays de l’Est
dont 80 % du secteur bancaire est contrôlé par des établissements de la
zone euro. En effet, ils exigeaient un droit de vote dans le futur
« comité de surveillance » qui sera créé au sein de la BCE, ce qui paraissait
a priori difficile, seuls les États membres de la zone euro étant membres de
l’institut d’émission. « La BCE a une marge de flexibilité, puisque cette
question relève de son règlement intérieur », explique Michel Barnier.
Après de longues discussions, il a été convenu que les États n’ayant pas adopté
l’euro disposeront d’une « représentation équitable ». Le vote ne
sera pas non plus « pondéré » en fonction du PIB, Berlin ayant
renoncé à cette demande : ce sera donc, comme au sein de la BCE, le
principe « un homme, une voix » qui s’appliquera.
- À quelle date l'union bancaire sera-t-elle totale ?
Les Vingt-sept se sont engagés à adopter la proposition de
règlement de la Commission avant la fin de l’année pour que la BCE puisse
commencer à travailler le 1er janvier 2013. Comme celle-ci doit
modifier ses structures, afin d’ériger une « muraille de Chine »
entre la politique monétaire et ses activités de supervision, recruter le
personnel ad hoc et résoudre tous les détails techniques (comme l’articulation
entre les contrôles nationaux et le contrôle européen), il lui faudra au moins
un an pour y parvenir. La supervision se fera par étape, comme l’a proposé
Michel Barnier : à partir du 1er janvier, la BCE pourra
s’emparer du dossier d’une banque posant des problèmes.
Puis, à compter du 1er juillet, les plus grandes banques seront
concernées et, six mois plus tard, ce sera au tour de l’ensemble des banques.
Bref, on peut se demander comment certains médias ont pu voir que l’Allemagne avait
imposé une entrée en vigueur différée de l’union bancaire...
Mais il n’est pas impossible que la Grande-Bretagne
pose son véto à ce projet de règlement, même si son intérêt est que la zone
euro se stabilise. En effet, si la BCE exercera bien la supervision quotidienne
des banques de la seule zone euro, la régulation, c’est-à-dire l’édiction des
normes applicables aux banques de l’ensemble de l’Union relèvera toujours de
l’EBA (Autorité bancaire européenne) basée à Londres. Le gouvernement
britannique craint, en effet, que les membres de l’union bancaire s’entendent
entre eux pour lui imposer leurs vues au sein de l’EBA… « Il va falloir le
rassurer, ce qui ne sera pas simple », soupire un diplomate.
- · Que se passera-t-il pour les banques en difficulté ?
La BCE n’aura pas le pouvoir de restructurer une banque en
difficulté. Ce rôle reviendra à une « autorité de résolution des crises
bancaires », dont la création est demandée par le Conseil européen.
« Je déposerai un texte dès le début de 2013 », nous a confié Michel
Barnier. Il s’appuiera sur les fonds nationaux de résolution (alimentés par une
taxe sur les banques) qui doivent être créés dans chaque État (texte en cours
d’adoption) et sur le Mécanisme européen de stabilité (MES).
Ce dernier pourra, dès l’entrée en vigueur de l’union
bancaire, directement recapitaliser une banque en difficulté, si la BCE
l’estime nécessaire, ce qui rompra le cercle vicieux entre dette publique et
dette bancaire. En effet, actuellement, seuls les États peuvent être aidés, car
ils sont les seuls à disposer d’un pouvoir de contrainte sur leurs banques, ce
qui alourdit d’autant leur dette publique. Mais pour ce faire, il faudra une
décision unanime des États de la zone euro et un vote positif du Bundestag, la
chambre basse allemande. Reste un énorme point de désaccord : Angela
Merkel a répété, hier, son opposition à tout effet rétroactif de cette aide, ce
qui exclut toute recapitalisation des banques espagnoles ou irlandaises. Une
position que ne partage pas la majorité de ses partenaires, dont la France, qui
estime qu’il faut éteindre l’incendie actuel et non se préparer à combattre les
incendies futurs…
N.B.: version longue de mon article paru ce matin dans Libération
Dessin: Kroll
Photo: Thierry Monasse