
« François Mitterrand a eu dix ans pour adapter l’économie française. François Hollande, lui, a moins d’une année », estime-t-on sans détour au sein du gouvernement allemand. « Les mesures annoncées la semaine dernière par Jean-Marc Ayrault à la suite du rapport Gallois pour améliorer la compétitivité des entreprises vont certes dans le bon sens, mais ce n’est pas suffisant : il faut profondément réformer le marché du travail et couper dans des dépenses publiques que la France n’a plus les moyens de s’offrir », poursuit cette même source qui a requis l’anonymat. C’est peu dire qu’outre-Rhin on s’inquiète du décrochage économique accéléré de son grand voisin et principal partenaire commercial qui, si rien n’est rapidement fait, risque de mettre en péril l’euro bien plus sûrement que la Grèce ou le Portugal. Depuis quelques semaines, les signes de l’affolement allemand se multiplient comme l’a montré la « une » du quotidien populaire Bild Zeitung qui a titré le 31 octobre : « Wird Frankreich das neue Griechenland ? » (« La France sera-t-elle la nouvelle Grèce ? »)
« Il ne faut pas exagérer, la France n’est pas la Grèce
ou l’Espagne, les situations n’ont rien à voir », tempère un responsable
allemand. « Il n’est pas question de “sauver la France”, même si son taux
d’endettement, désormais supérieur à celui de l’Allemagne qui a du encaisser le
choc de l’unification, devient préoccupant ». Car, « la France a une
industrie qui fabrique des produits de qualité et un secteur des services
puissant ».
Mais le projet de budget 2013 a
sérieusement paniqué le gouvernement allemand. Au lieu de tailler dans ses
pharaoniques dépenses publiques (56 % du PIB contre 52 % en Suède et 46 %
en Allemagne) et de s’attaquer aux rigidités de son marché du travail, la
France a décidé d’augmenter la pression fiscale (20 milliards d’euros d’impôts
supplémentaires) au risque de dégrader davantage la compétitivité de ses
entreprises : « or leurs marges s’effondrent depuis longtemps ce qui
leur interdit d’investir », souligne-t-on à Berlin. C’est tout juste si
les dépenses publiques ont été écornées avec le gel en volume annoncé (10 milliards
d’économies attendus), bien loin des efforts de ses partenaires. Qui reconnaît
néanmoins ne pas avoir encore intégré les effets du pacte de compétitivité
annoncé mardi par le Premier ministre français, qui se traduit par un crédit
d’impôt de 20 milliards au bénéfice des entreprises, sans
contrepartie.
« Ce choc fiscal a entrainé un
débat outre-Rhin », reconnaît Jean-Pisani-Ferry qui dirige le think tank
économique Bruegel, et a conduit le gouvernement allemand à faire connaître
publiquement ses préoccupations. Ce n’est pas un hasard si les cinq
« sages » économiques qui conseillent le gouvernement ont épinglé
l’Hexagone dans leur rapport annuel publié mercredi dernier : « au vu des tendances à la récession dans la zone euro, le
développement de la France nous cause de plus en plus de soucis ».
Lars Feld, l’un des « sages », a été plus explicite : « Le problème le plus sérieux de la zone euro en ce moment n’est
plus la Grèce, l’Espagne ou l’Italie, mais la France, car elle n’a rien
entrepris pour vraiment rétablir sa compétitivité et elle est même en train d’aller
dans la direction opposée. La France a
besoin de réformes du marché du travail, c’est le pays qui travaille le moins
de la zone euro ». Enfonçant
le clou, Volker Kauder, président du groupe parlementaire des conservateurs de
la CDU et proche de la chancelière Angela Merkel, a déclaré, vendredi, à
l’hebdomadaire Der Spiegel, que « ce serait bien si les socialistes
engageaient maintenant vraiment des réformes structurelles. Cela ferait du bien
au pays et à l’Europe ».
En
revanche, contrairement à ce qu’ont affirmé l’hebdomadaire die Zeit et l’agence
Reuters, Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances, n’a commandé aucun
rapport aux cinq « sages » sur les réformes que devrait mener à bien
la France : « institutionnellement, il ne peut pas le faire »,
explique-t-on au ministère des Finances. « En plus, cela n’a aucun
sens : il existe déjà tous les rapports imaginables sur la France, les
problèmes et les solutions sont connus ».

« Le
rapport Gallois et les mesures annoncées par Ayrault sont tombés à pic »,
estime néanmoins Jean Pisani-Ferry. « Cela devrait permettre à l’Allemagne
de changer sa perception de la politique de François Hollande. Car les mesures
annoncées sont très dures en matière de dépenses publiques, car elles sont
financées pour moitié (10 milliards d’euros) par leur baisse. Cela va obliger à
des coupes claires. C’est du lourd et le gouvernement assume ça sans cadeau à
la gauche traditionnelle ». Mais, reconnaît-il, « rien n’a été fait
sur le marché du travail et c’est un problème ». « Je crains que la
France, persuadée que l’Allemagne est désormais décidée à sauver l’euro, ne
bouge pas suffisamment comme le montre son discours sur l’exceptionnalisme
français et antiaustérité », analyse Ulrike Guérot, qui dirige le bureau
du centre de réflexion ECFR (European council for foreign relation) à Berlin.
« C’est un pari risqué, car la balance coût-avantage de l’euro pourrait
s’inverser. Et l’Allemagne n’a pas les moyens d’obliger la France à bouger. C’est
l’avenir de la zone euro qui est en jeu, car celle-ci suppose une relation
franco-allemande équilibrée ce qui n’est pas possible avec une France en
panne ».
C’est
parce qu’elle ne sait pas où va la France que Berlin ne veut pas entendre
parler d’euro-obligations ou de toute autre forme de mutualisation des dettes
qui impliquent, au minimum, un accord sur le niveau des dépenses publiques.
« Paris ne comprend pas qu’il faut qu’elle renonce à une bonne part de sa
souveraineté », affirme Ulrike Guérot. « C’est pourquoi elle ne
participe pas aux discussions en cours entre l’Allemagne, l’Italie ou encore
l’Espagne sur l’organisation de la future fédération de la zone euro. L’Europe
peut échouer sur la France cette fois ».
N.B.: version longue de mon article publié ce matin dans Libération (la place implique des choix, hélas).