
En fin de semaine dernière, la presse d’outre-Rhin avait même évoqué
un scénario pour le moins cocasse : les cinq économistes qui conseillent
le gouvernement allemand auraient été sollicités par le ministre des
Finances, Wolfgang Schäuble, afin de plancher sur des propositions de
réformes pour… la France. Il a fallu que Wolfgang Franz, président de ce
conseil des experts économiques, démente officiellement pour faire
retomber un peu la pression.
Ministre de l’Economie et des Finances, Pierre Moscovici expliquait hier à Libération : «C’est
bien une tempête dans un verre d’eau. Il n’y a aucun malentendu
franco-allemand. Ma relation avec le ministre des Finances, Wolfgang
Schäuble, est excellente et d’une loyauté exemplaire.» A Bercy, la
direction du Trésor a tout de même pris la peine d’envoyer un courrier
de demande d’explication à Berlin. Pour Moscovici, le meilleur est à
venir : «Le climat vis-à-vis de la France en Allemagne a changé et
va changer encore plus dans les jours qui viennent, une fois que nos
partenaires auront pris pleinement connaissance de notre pacte pour la
compétitivité.» Même analyse à Matignon, où l’on estime que ce
pacte de compétitivité de 20 milliards d’euros aux entreprises, annoncé
en début de semaine dernière, a déjà changé la donne : «Depuis deux ou trois jours, on peut lire dans la presse allemande une sorte de soulagement : la France prendrait enfin conscience de son problème de compétitivité.»
Dans l’entourage de Hollande, on se montre un peu plus inquiet : «Cette
panique allemande, qui monte comme une vague, est curieuse, car la
France ne sera jamais ni la Grèce, ni l’Espagne, commente un conseiller.
Dire que les marchés vont attaquer, ça risque de déclencher une
attaque, c’est dangereux ce genre de prophétie autoréalisatrice. Il est
possible que Berlin veuille exploiter cela pour obtenir des choses de la
France.» Ministre du Budget, Jérôme Cahuzac voit plus loin (lire pages 14-15) : «Il
y a une grande part de tactique chez les dirigeants allemands, qui font
semblant de ne pas remarquer les efforts de la France. Ils souhaitent
conserver un leadership en Europe que Nicolas Sarkozy leur a abandonné.
Mais quand la France aura réformé son économie et qu’elle aura ajusté
ses finances publiques, alors le leadership allemand sera très
légitimement contesté par la France.» Une analyse tempérée à Matignon : «Contrairement
à ce que l’on peut dire, la peur de l’Allemagne, c’est une France
faible. Berlin a toujours préféré l’idée d’un couple équitable. Or,
depuis quatre ou cinq ans, ce n’est plus le cas.»
Comment alors réagir à ce rapport des cinq «sages» allemands, publié mercredi et très critique sur l’état de la France ? «Ce sont des économistes indépendants qui n’engagent pas la parole du gouvernement allemand, relativise un proche du Premier ministre. Par
ailleurs, il n’y a rien de très nouveau dans leur diagnostic : il
reprend les conclusions de nombreux rapports, notamment de l’OCDE.» Et ces appels de Berlin à une réforme du marché du travail français ? «On y travaille, répond Moscovici. Mais
c’est vrai que nous ne sommes pas des conservateurs allemands, et les
réformes de la France ne sont pas exactement celles de l’Allemagne. Il y
a un modèle français que l’on compte préserver.» Même tonalité à l’Elysée : «Ce
qui a été bon pour l’Allemagne ne le sera pas forcément pour la France.
Le débat sur la dépense publique doit être mené, mais pas n’importe
comment. Après tout, certains pays ont un haut niveau de dépenses
publiques et des entreprises compétitives, comme la Suède.» Dès
jeudi, à l’occasion de son voyage en Allemagne, Jean-Marc Ayrault aura
le loisir de se transformer en VRP de sa politique économique. Et de
faire la promotion de son pacte de compétitivité. Il a manifestement du
pain sur la planche.
N.B.: papier de Grégoire Biseau que j’ai cosigné, paru ce matin dans Libération