
Bien sûr, à l’Élysée, on se récrie : « on
travaille beaucoup en amont avec l’Allemagne. On passe notre temps à rencontrer
nos homologues à Berlin pour préparer les Sommets. Les lettres communes indisposaient
nos partenaires, car elles étaient vécues comme un diktat, elles ne sont plus
nécessaires ». Une explication rassurante totalement démentie par les
sommets de 2012 qui ont tous montré que l’incompréhension franco-allemande
était forte. François Hollande, comme s’il savait le fossé qui le sépare de la
chancelière allemande infranchissable, a privilégié l’alliance avec l’Italie et
les pays du sud en juin et en octobre, ce qui n’était pas forcément de mauvaise
tactique. En novembre, Merkel a ignoré son partenaire historique pour garder
dans le jeu la Grande-Bretagne alors que Hollande souhaitait l’isoler sur les
questions budgétaires. Et en décembre, cela a été le chacun pour soi, Berlin
privilégiant ses échéances internes (élections législatives de septembre) à
défaut d’obtenir un clair engagement de Paris sur l’intégration politique.
Ce n’est certes pas la première fois que les deux rives du
Rhin sont séparées par un épais brouillard. Les « couples » ont
toujours mis du temps à trouver leur rythme de croisière. Il a fallu deux ans
et le virage de la rigueur pour que François Mitterrand et Helmut Kohl y
parviennent ; Jacques Chirac et Kohl ne se sont carrément jamais entendus
et le chef de l’État français a mis quatre ans à trouver ses marques avec
Gehrard Schröder. Même la « Merkozy » s’est mis en place avec
difficulté : on peut même parler de mésentente cordiale entre 2007 et
mi-2010…

Cette incapacité franco-allemande à trouver un compromis se
traduit par une forte révision à la baisse des ambitions européennes. Plus
question d’un budget conséquent, alors même que la crise de la zone euro a
montré que les transferts financiers étaient une condition sine qua non de la
survie de la monnaie unique, plus question de fédéralisme et de solidarité
financière, alors que les marchés jugent ce saut nécessaire pour leur garantir
la pérennité de l’euro. Ce coup de frein est pour le moins préoccupant, la
crise étant loin d’être terminée, même si les menaces pesant directement sur la
monnaie unique se sont dissipées grâce à l’action de la Banque centrale
européenne (BCE) qui a annoncé, le 26 juillet, qu’elle était prête à « faire
tout ce qui est nécessaire pour préserver l’euro ». Mais, comme le
reconnaît l’un des membres du directoire, le Belge Peter Praet, la BCE n’a fait
que « gagner du temps ». Un gel de l’intégration pour cause de
désaccord franco-allemand ne peut que préparer la prochaine crise, avec les conséquences
économiques et humaines désastreuses auxquelles on assiste, les déséquilibres
de la zone euro, notamment sur le plan démocratique, étant loin d’être corrigés.
Photos: Reuters
N.B.: Article paru aujourd’hui dans Libération dans le cadre de l’évènement sur le cinquantième anniversaire du traité de l’Elysée.