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Blog «Coulisses de Bruxelles»

Des désaccords franco-allemand qui plombent l'Union

Où sont passées les « lettres communes » franco-allemandes publiées la veille des sommets européens importants, lettres qui dessinaient le compromis final ? Depuis l’élection de François Hollande, aucun des cinq Conseils auxquels il a participé n’a été précédé de ce symbole de l’harmonie régnant entre Berlin et Paris. « Lorsque le couple franco-allemand fonctionne, c’est vrai que cela peut être agaçant pour leurs partenaires, mais au moins l’Europe avance », analyse un haut fonctionnaire d
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publié le 22 janvier 2013 à 17h19
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h09)
RTR3CSRR_CompOù sont passées les « lettres communes » franco-allemandes publiées la veille des sommets européens importants, lettres qui dessinaient le compromis final ? Depuis l’élection de François Hollande, aucun des cinq Conseils auxquels il a participé n’a été précédé de ce symbole de l’harmonie régnant entre Berlin et Paris. « Lorsque le couple franco-allemand fonctionne, c’est vrai que cela peut être agaçant pour leurs partenaires, mais au moins l’Europe avance », analyse un haut fonctionnaire de la Commission européenne. « En revanche, lorsqu’il y a mésentente, il est difficile voir impossible d’avancer ». Faute de ce précieux accord préalable, il a fallu deux sommets (en juin et en octobre) pour se mettre d’accord sur les grandes lignes de la supervision bancaire européenne, première étape menant à l’union bancaire, et les réunions de novembre, sur le budget de l’Union pour 2014-2020, et de décembre, sur la feuille de route menant la zone euro au fédéralisme, ont été des échecs retentissants.
Bien sûr, à l’Élysée, on se récrie : « on travaille beaucoup en amont avec l’Allemagne. On passe notre temps à rencontrer nos homologues à Berlin pour préparer les Sommets. Les lettres communes indisposaient nos partenaires, car elles étaient vécues comme un diktat, elles ne sont plus nécessaires ». Une explication rassurante totalement démentie par les sommets de 2012 qui ont tous montré que l’incompréhension franco-allemande était forte. François Hollande, comme s’il savait le fossé qui le sépare de la chancelière allemande infranchissable, a privilégié l’alliance avec l’Italie et les pays du sud en juin et en octobre, ce qui n’était pas forcément de mauvaise tactique. En novembre, Merkel a ignoré son partenaire historique pour garder dans le jeu la Grande-Bretagne alors que Hollande souhaitait l’isoler sur les questions budgétaires. Et en décembre, cela a été le chacun pour soi, Berlin privilégiant ses échéances internes (élections législatives de septembre) à défaut d’obtenir un clair engagement de Paris sur l’intégration politique.
Ce n’est certes pas la première fois que les deux rives du Rhin sont séparées par un épais brouillard. Les « couples » ont toujours mis du temps à trouver leur rythme de croisière. Il a fallu deux ans et le virage de la rigueur pour que François Mitterrand et Helmut Kohl y parviennent ; Jacques Chirac et Kohl ne se sont carrément jamais entendus et le chef de l’État français a mis quatre ans à trouver ses marques avec Gehrard Schröder. Même la « Merkozy » s’est mis en place avec difficulté : on peut même parler de mésentente cordiale entre 2007 et mi-2010…
RTR3BEYF_CompIl ne faut donc pas dramatiser les difficultés actuelles du couple. Le problème est que l’Union, qui gère sa sortie de crise, aurait besoin d’un axe franco-allemand qui sache ce qu’il veut pour éviter une répétition des trois dernières années. Or, l’ordre des priorités entre Berlin et Paris empêche tout approfondissement de la zone euro : alors que la France estime que la solidarité financière entre pays doit précéder – ou au minimum accompagner — l’intégration politique pour la justifier (« intégration solidaire » dans la novlangue hollandaise), l’Allemagne estime au contraire que cette solidarité ne peut que couronner l’union politique afin de garantir un contrôle démocratique des moyens financiers mis en commun (par exemple des eurobonds). À cela s’ajoute le peu d’empressement de Hollande, durablement traumatisé par le « non » de 2005 à la Constitution européenne, d’ouvrir un chantier institutionnel qui pourrait l’amener à organiser un référendum avec toutes les conséquences que cela aurait pour la fragile unité de la gauche…
Cette incapacité franco-allemande à trouver un compromis se traduit par une forte révision à la baisse des ambitions européennes. Plus question d’un budget conséquent, alors même que la crise de la zone euro a montré que les transferts financiers étaient une condition sine qua non de la survie de la monnaie unique, plus question de fédéralisme et de solidarité financière, alors que les marchés jugent ce saut nécessaire pour leur garantir la pérennité de l’euro. Ce coup de frein est pour le moins préoccupant, la crise étant loin d’être terminée, même si les menaces pesant directement sur la monnaie unique se sont dissipées grâce à l’action de la Banque centrale européenne (BCE) qui a annoncé, le 26 juillet, qu’elle était prête à « faire tout ce qui est nécessaire pour préserver l’euro ». Mais, comme le reconnaît l’un des membres du directoire, le Belge Peter Praet, la BCE n’a fait que « gagner du temps ». Un gel de l’intégration pour cause de désaccord franco-allemand ne peut que préparer la prochaine crise, avec les conséquences économiques et humaines désastreuses auxquelles on assiste, les déséquilibres de la zone euro, notamment sur le plan démocratique, étant loin d’être corrigés.

Photos: Reuters

N.B.: Article paru aujourd’hui dans Libération dans le cadre de l’évènement sur le cinquantième anniversaire du traité de l’Elysée.