L’austérité, stop ou encore ? Face à la récession dans
laquelle s’enfonce chaque jour un peu plus l’Europe, faut-il desserrer l’étau
de la rigueur budgétaire et si oui de combien de crans ? Faut-il adopter
des politiques de relance dans les pays qui se portent le mieux afin de
relancer la croissance (policy mix) ? Les Vingt-sept de l’Union – et
surtout les dix-sept de la zone euro- vont en discuter aujourd’hui et demain,
lors de leur sommet de printemps, à Bruxelles. À huis clos, entre chefs d’État
et de gouvernement seuls, loin des oreilles des citoyens. Après trois ans de crise de la zone euro, tout le monde
s’est habitué à ce que des décisions de politique économique, financière et
budgétaire, qui intéressent pourtant directement plus de 500 millions de
personnes, soient prises dans la plus parfaite opacité et sans aucun contrôle
démocratique : « ni le Parlement européen, ni les parlements
nationaux n’ont leur mot à dire sur ce que décide le Conseil européen et la
Commission », dénonce Guy Verhofstadt, le patron du groupe libéral de
l’europarlement. « En tous les cas », poursuit-il ironiquement,
« ils ne peuvent pas nous mettre sur le dos leur incapacité à décider des bonnes
politiques. Alors qu’ils ont les pleins pouvoirs depuis 3 ans, 7 pays de la
zone euro sont en récession, 9 en stagnation, seule l’Estonie est en croissance.
Quelle “réussite” ! pour reprendre
le mot qu’a osé utiliser José Manuel Durao Barroso, le président de la
Commission, dans la lettre qu’il vient d’envoyer aux chefs d’État et de gouvernement ».
Les politiques d’austérité ont été décidées dans le feu de
la crise de la dette publique par des gouvernements qui ne savaient plus comment
calmer les marchés financiers paniqués par l’inconséquence budgétaire des États
membres de la zone euro. En 2011, au plus fort de la tourmente, ils se sont donc
solennellement engagés à revenir sous les 3 % de déficit budgétaire d’ici à
2013 alors que personne ne leur demandait de fixer une date. Surtout, poussée
par une Allemagne, qui n’a pas hésité à monnayer sa participation au sauvetage
de la Grèce, de l’Irlande, du Portugal et de l’Espagne, et avec la complicité
de Nicolas Sarkozy, l’ancien Président de la République, la zone euro a adopté une
série de mécanismes destinés à placer sous contrôle de la Commission et de
l’Eurogroupe (ministre des Finances de la zone euro) les politiques économiques
et budgétaires.
Le dernier étage de cette mise sous tutelle technocratique,
le « two pack », a d’ailleurs été définitivement adopté mardi par le
Parlement européen. Cet ensemble de deux règlements européens oblige,
notamment, les États à soumettre à la Commission, avant même leur parlement national,
leur projet de budget, afin qu’elle puisse suggérer (et non imposer) des
modifications. Avant ce « two-pack », il y a eu le « traité sur
la stabilité, la coordination et la gouvernance » qui a obligé les États
signataires à adopter la « règle d’or », et le « six-pack »
qui a fortement renforcé le Pacte de stabilité et de croissance et la coordination
des politiques économiques.
Au final, cet ensemble de texte a abouti à priver les
démocraties nationales de tout pouvoir sur les politiques décidées par la
Commission et les gouvernements à Bruxelles. « Avez-vous vu un seul débat
public sur les politiques économiques depuis le début de la crise »,
interroge l’eurodéputée Sylvie Goulard (Modem)? « On est dans
l’austérité technocratique », dénonce Daniel Cohn-Bendit, le coprésident
du groupe Vert au Parlement européen : « or, visiblement, la
politique d’austérité ne passe pas comme on vient de le voir en Italie. On doit
en discuter. Mais c’est en dehors de la réflexion, car il n’y a pas de lieu de
débats ». De fait, le système mis en place concentre le pouvoir entre les
mains du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, l’Eurogroupe et
la Commission, des instances opaques que personne ne contrôle. Le Parlement
européen n’a pas son mot à dire lorsque la Commission agit dans le domaine de
la politique économique et budgétaire, tout comme les parlements nationaux. Et
ni le Conseil européen, ni l’Eurogroupe n’ont de compte à rendre en tant
qu’organe collectif devant un Parlement, qu’il soit européen ou national :
« la juxtaposition des contrôles nationaux auxquels sont soumis les chefs
de gouvernement et les ministres ne crée pas une légitimité européenne »,
souligne Sylvie Goulard. Et si on ajoute au tableau la très indépendante Banque
centrale européenne (BCE), on aboutit à une « autocratie
postdémocratique », comme le dénonce le philosophe allemand Jürgen
Habermas, fédéraliste européen convaincu.
Pour Sylvie Goulard, ce « trou noir de la démocratie en
Europe rend le système intenable : partout, le populisme, le
nationalisme voire le fascisme sont de retour. Ce qui s’est passé en Italie, c’est
le résultat direct de la politique décidée par le Conseil européen des chefs d’État
et de gouvernement. Si on continue comme ça, l’euro ne survivra pas. » À
la Commission même on reconnaît que le système a été poussé à ses extrêmes limites
et qu’il faut réintroduire les peuples dans la machine sous peine de la voir
exploser. Mais, précise Goulard, « ce n’est pas le fait que l’on contrôle
ce que font les États qui est choquant : comme on partage une même
monnaie, c’est normal ». Pour Cohn-Bendit, les États n’ont pas d’autre
choix que de renégocier les traités européens pour démocratiser la zone euro.
« Sinon, un tremblement de terre aura lieu et ça va faire mal ». N.B.: article paru ce matin dans Libération