
- Comment Chypre en est-elle arrivée là ?
Grande comme la Corrèze, Chypre (0,2 % du PIB de la zone euro)
a bâti sa prospérité sur la marine marchande et surtout les services
financiers, qui, rapportés à la taille du pays, arrivent en deuxième place de
l’UE, après le Luxembourg. Comme en Irlande ou en Islande, la crise de Chypre
est d’abord une crise des banques. Déjà affaiblies par la crise financière de
2008, celles-ci ont pris de plein fouet l’effondrement de la Grèce, premier partenaire
économique de l’île. Avec la restructuration de la dette grecque, les banques
chypriotes ont perdu 4 milliards d’euros. Seuls des prêts d’urgence de la BCE
ont maintenu en vie ces derniers mois les deux plus grosses banques du pays,
Bank of Cyprus et Popular Bank (nationalisée en 2012).
- Quel est le plan de sauvetage décidé par la zone euro ?
Chypre avait besoin de 17 milliards d’euros, dont 10 pour
sauver son seul secteur bancaire. Le problème est qu’un tel prêt n’aurait
jamais pu être remboursé, car il correspond au revenu annuel du
l’île : le taux d’endettement aurait bondi à 160 % du PIB. Autrement
dit, d’ici quelques années, il aurait fallu restructurer la dette chypriote et
donc transférer le sauvetage des banques chypriotes sur les contribuables de la
zone euro… Inacceptable non seulement pour la zone euro, mais aussi pour le Fonds
monétaire international (FMI).
Ce seront donc 10 milliards d’euros qui seront débloqués par
le Mécanisme européen de stabilité (MES) ce qui permettra de contenir la dette
à 100 % du PIB à l’horizon 2020. Pour combler le surplus, Chypre
s’est engagé à prélever une taxe non renouvelable de 6,75 % sur les dépôts
bancaires en deçà de 100.000 euros et de 9,9 % au-delà (capital et
intérêts compris). Le montant des dépôts atteignant plus de 70 milliards
d’euros, cela permettra de lever 5,8 milliards. Tous les comptes sont
concernés : à vue, d’épargne, assurance-vie, en actions, de particulier et
d’entreprise, résident et surtout non-résident (la moitié des dépôts). Pour
éviter une fuite massive de capitaux, les sommes dues sont d’ores et déjà
isolées et gelées sur les comptes en attendant le vote de la loi qui permettra
de les verser à l’État chypriote.
Cette taxe exceptionnelle sera compensée à « 100 % »,
selon Michalis Sarris, le ministre
des finances chypriote, par une distribution d’actions des banques
concernées. Mais, dans un premier temps du moins, elles risquent de vite se
déprécier… Le communiqué de l’Eurogroupe précise que les créanciers non
privilégiés des banques verront aussi leurs créances transformées en actions.
Le paradis fiscal chypriote en prend un coup au passage : à l’avenir, les
intérêts servis par les banques seront imposés et l’impôt frappant les sociétés
passera de 10 (le niveau le plus
faible de l’UE) à 12,5 % (le niveau irlandais).
- Quelles seront les conséquences pour les Chypriotes ?

Surtout, cet
ensemble de mesures épargnera à l’île une cure d’austérité à la grecque pour
ramener la dette publique à des proportions raisonnables. Certes, l’Eurogroupe
réclame un effort supplémentaire de diminution des dépenses publiques de 4,5 %
du PIB, mais la taxation des dépôts permettra d’éviter « des coupes dans
les salaires et les retraites », selon Sarris.
Quand au risque de « bank run », c’est-à-dire
d’une fuite massive de capitaux, il paraît limité, à la fois parce que la taxe
sera prélevée une fois pour toutes et parce qu’une bonne partie de l’argent
placé à Chypre serait de l’argent sale, ce qui explique d’ailleurs la forte
réticence allemande à aider Nicosie. « Cet argent n’a pas quitté l’île,
car quasiment aucun autre pays ne serait prêt à l’accepter tellement il sent
mauvais », explique une source d’une banque d’investissement qui a requis
l’anonymat. Quant à un « bank run » européen, personne n’y
croit : pourquoi un Français placerait-il son argent en Allemagne alors
que son système bancaire a fait preuve de sa solidité ?
Cette crise permettra d’assainir la bulle financière : l’Eurogroupe
exige que le secteur bancaire chypriote soit ramené d’ici à 2018 de 8 fois à
3,5 fois le PNB, en ligne avec la moyenne de l’UE (trois fois en France). Pour
les Européens, ce coup de torchon est aussi un coup de pied dans la fourmilière
de l’argent sale. Malgré les démentis de Nicosie, l’île est soupçonnée de ne
pas être assez regardante sur l’origine des milliards de capitaux russes qui y
ont afflué. De fait, une bonne partie des comptes touchés sont
russes : selon Moody’s, l’agence de notation, les avoirs russes à Chypre
s’élève à 14,6 milliards auxquels s’ajoutent 9,2 milliards d’avoirs de banques
russes dans des établissements chypriotes. Est-ce la mise à mort de la poule aux œufs d’or dont a
vécu toute l’ile ? C’est bien l’angoisse des milieux d’affaires locaux :
«Il y a un risque très important que cela sonne le glas de Chypre » comme
business center international, se lamentait ce week-end Marios Skandalis,
vice-président de l’Institut des experts comptables publics.
- Un autre plan était-il concevable ?
Laisser les banques faire faillite aurait contraint Chypre à
trouver 30 milliards d’euros pour rembourser les dépôts à hauteur de 100.000
euros comme le prévoit une directive européenne (qui ne joue qu’en cas de
faillite bancaire). Évidemment inimaginable. Autrement dit, les Chypriotes
auraient quasiment tout perdu et surtout, l’économie réelle, qui n’aurait plus
été financée, aurait été durement touchée. De même, le gouvernement chypriote a
écarté l’idée de saisir uniquement les comptes non résidents (solution islandaise), de
peur de compromettre définitivement l’attractivité de l’île. C’est d’ailleurs
pour cela qu’il a aussi refusé de ne taxer que les comptes non résidents.
C’est aussi pour cela que Nicosie s’est opposé à ce que les
petits comptes soient exclus de cet impôt, comme l’a demandé hier Martin
Schulz, le président du Parlement européen, qui suggère un abattement de 25.000
euros. « Si les Chypriotes veulent obtenir une telle décote maintenant
pour des raisons de justice sociale, il faudra qu’ils demandent l’autorisation
de leurs partenaires », dit-on à la Commission.»Or, le temps presse«.
Enfin, une restructuration de la dette chypriote a été
écartée, car la zone euro s’est engagée à ce que la Grèce reste un cas
exceptionnel. Un changement de cap aurait déclenché un nouveau vent de panique
sur les marchés financiers. « On aurait certes au moins pu contraindre
tous les créanciers, privilégiés ou non, des banques chypriotes à prendre leur
perte en convertissant leurs prêts en actions », explique Stéphane Déo,
chef de l’allocation d’actifs chez UBS. « Cela aurait été moral, car ils
ont pris un risque. Mais, en économie, la morale n’a rien à faire : il y
aurait eu un risque de panique, plus personne ne prêtant d’argent aux autres
banques des pays les plus faibles de peur se faire rincer ».
Finalement, ce sont toujours les citoyens qui payent pour les erreurs de leurs banques, que ce soit sous forme d'augmentation des impôts ou de coupes dans les dépenses publiques : »moralement, faire payer les dépôts bancaires, c'est ce qu'il y a de plus moral«, estime Stéphane Déo. »Les Chypriotes ont fait n'importe quoi en laissant leur secteur bancaire atteindre une telle taille. Maintenant, il faut payer l'addition et il est normal que ce ne soient pas les citoyens européens qui soient mis à contribution«.