
Y avait-il un autre moyen que de taxer l’ensemble des dépôts bancaires pour sauver Chypre ?
Chypre a besoin de 10 milliards d’euros pour
sauver son système bancaire, soit 60 % de son PIB, ce qui bat le précédent
record irlandais (40 % du PIB). A l’échelle française, cela ferait
1200 milliards. Le secteur bancaire chypriote est hypertrophié : les
dépôts y représentent 100.000 euros par adulte, ce qui est sans commune mesure
avec la richesse réelle des habitants de l’île. Prêter à l’Etat chypriote 10
milliards pour sauver les banques, en plus des 7 milliards rendus nécessaires
par la situation du budget, c’était de facto le rendre insolvable. Le Fonds
monétaire international a logiquement refusé d’entrer dans un mécanisme dans
lequel le prêt concourt à l’insolvabilité et aboutit à des pertes pour les
partenaires. Il a donc demandé une solution immédiate.
Dès lors, la question était simple : sur qui
faire peser le poids du règlement de la crise bancaire ? Les créanciers
obligataires des banques ? Mais les banques chypriotes en ont très peu, ce
qui signifie que ce n’est pas une solution quantitative, même si on aurait dû les
impliquer pour des raisons de principe. Une augmentation des impôts ? Mais
pourquoi faire payer les seuls chypriotes, et pas les déposants
étrangers ? Un défaut sur la dette ? Mais la zone euro a promis que
la restructuration grecque ne constituerait pas un précédent. Faire payer le
reste de la zone euro ? Du point de vue de la stabilité financière,
c’était sans doute la meilleure solution, mais elle était très contestable d’un
point de vue moral : il n’y a pas de raison que les épargnants français ou
allemands payent pour les errements chypriotes. Donc, il ne restait que les
déposants bancaires. Cette solution me paraît fixer la moins mauvaise répartition
de la charge. La taxe sur les dépôts va rapporter 5,8 milliards, ce qui va
éviter à l’État chypriote de se retrouver insolvable.
Les dépôts bancaires étant extrêmement bien rémunérés, cela va limiter la perte que vont subir les déposants.
On ne trouve pas de telles rémunérations
ailleurs : 4,5 % sur les dépôts à un an, par exemple…Deux fois ce qui
se pratique en France ou en Allemagne. Lever une taxe sur les dépôts permet
donc de récupérer les surrémunérations des deux ou trois dernières années, ce
qui est loin d’être scandaleux.
N’aurait-on pas pu distinguer entre les petits et les gros déposants ?
Si, bien sûr. Une répartition différente
de celle qui a été annoncée (6,75 % jusqu’à 100.000 euros, 9,9 %
au-delà) aurait été plus juste : par exemple, on aurait pu instituer une
franchise pour les petits dépôts et taxer davantage au-delà de 100.000 euros.
Mais cela impliquait d’imposer davantage les gros déposants ce qu’a refusé le
gouvernement chypriote afin de continuer à attirer des dépôts étrangers, russes
notamment. C’est pour cela qu’il a décidé de taxer autant les dépôts inférieurs
à 100.000 euros. Mais politiquement, cela ne passe pas à Chypre et le mécanisme
pourrait être modifié. L’Eurogroupe a d’ailleurs clairement indiqué qu’il était
prêt à accepter toute nouvelle proposition en matière de répartition de la
charge, à condition que la somme nécessaire, 5,8 milliards d’euros, soit
atteinte.
À partir du moment où la situation menaçait
la solvabilité de l’Etat qui est le garant des dépôts, l’argument n’a plus beaucoup
de sens. L’alternative, à part faire payer les partenaires de la zone euro,
était de mettre le système bancaire en faillite. Il ne s’agit pas de
spoliation, mais d’une taxation destinée à sauver les banques et donc leurs
déposants.
N’y a-t-il pas un risque de « bank run », c’est-à-dire de fuite des déposants vers les banques les plus sûres de la zone euro ?
C’est vrai qu’on écorne de facto le
principe de la garantie des dépôts bancaires inférieurs à 100.000 euros, ce qui
peut inquiéter d’autres déposants au sein de la zone euro. Mais encore une
fois, tant qu’on n’est pas en union bancaire, cette garantie ne vaut que pour
autant que l’Etat est solvable. Et puis le cas de Chypre est très particulier,
et les pays les plus fragiles bénéficient du parapluie de l’assistance
financière.
Est-ce la première fois que l’on taxe ainsi tous les dépôts ?
Non. En Italie, en juillet 1992, tous les
dépôts ont été taxés à hauteur de 0,6 %, ce qui a permis à l’État de
récupérer six milliards d’euros afin de réduire son déficit. Au Danemark, en
2011, les déposants au-dessus de 100.000 euros de deux banques en faillite ont
été impliqués.
Photos: Reuters
N.B.: interview parue ce matin dans Libération